Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/388

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haut gradin, tu la reverras sur le trône qui est le prix de ses mérites. »

Sans répondre je levai les yeux, et je la vis qui se faisait une couronne, en réfléchissant les rayons éternels. De cette région qui le plus haut tonne, nul œil mortel, lorsqu’il plonge dans la plus profonde mer, n’est aussi distant que les miens ne l’étaient de Béatrice ; mais cela rien ne me faisait, parce que son image, en descendant à moi, ne se mêlait avec aucun milieu.

— Ô Dame, en qui florit mon espérance, et qui pour mon salut ne craignis point de laisser en Enfer tes vestiges, des grandes choses que j’ai vues, la grâce et la force de les voir je reconnais tenir de ta puissance et de ta bonté. Tu m’as de la servitude conduit à la liberté, par toutes les voies, de toutes les manières que tu avais le pouvoir de le faire. Garde envers moi ta munificence, afin que mon âme que tu as guérie, digne de te plaire, se délie du corps. Ainsi priai-je, et elle, si loin qu’elle parût être, sourit et me regarda ; puis elle se tourna vers l’éternelle fontaine ; et le saint vieillard : « Afin que se consomme parfaitement ton voyage, ce pourquoi une prière et un amour saint m’ont envoyé, avec les yeux vole par ce jardin, car le voir aiguisera [1] ton regard, pour monter plus haut vers le rayon divin. La Reine du ciel, pour qui je brûle d’amour, nous accordera toute grâce, car je suis son fidèle Bernard. »

Tel que celui qui de la Croatie, peut-être, vient pour voir notre sainte Véronique, et, à cause de l’antique renommée [2], point ne se rassasie [3], mais dit en son penser, pendant qu’on la montre ; « Mon seigneur Jésus-Christ vrai Dieu, ainsi était donc votre visage ? » Tel étais-je, regardant la vive charité de celui qui, dans ce monde, en contemplant goûta de cette paix. « Fils de la Grâce, commença-t-il, cet être joyeux ne te sera point connu en tenant seulement tes yeux abaissés

  1. Nous lisons acuirà, avec Betti. Dans l’édition des Aides, on lit acconerà, et dans le Cod. Gact. acconcierà.
  2. À cause de ce que dit d’elle une ancienne tradition ; à savoir, qu’elle est l’empreinte véritable de la figure de Jésus-Christ. Il s’agit du Suaire qu’à Rome, pendant la semaine sainte, on montre au peuple, d’une des tribunes de saint Pierre, et qu’on ne tient exposé à ses yeux que peu d’instants.
  3. De la voir.