Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/43

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telles oraisons dans notre temple [1]. Après avoir en soupirant secoué la tête : « A cela, dit-il, je ne fus pas seul, et ce n’eût pas certes été sans cause qu’avec les autres je m’y fusse porté ; mais quand tous consentaient à détruire Florence, seul en face je la défendis. » — Ah ! si jamais les vôtres recouvrent le repos, lui dis-je, levez, je vous prie, le voile dont vous avez enveloppé ma sentence [2] ; car, si je l’entends bien, il semble que, le présent vous étant caché, vous voyez au delà ce que le temps amène avec lui.— « Nous voyons, dit-il, comme on voit avec une mauvaise vue, les choses qui sont loin, autant que les éclaire le souverain Maître. Quand elles s’approchent, ou sont déjà, toute notre intelligence s’évanouit ; et si quelque autre ne vient ici nous en instruire, nous ne savons rien de votre état humain. Ainsi, tu peux comprendre que pour nous mourra toute connaissance, de ce moment où sera fermée la porte de l’avenir [3]. » Alors, comme contrit de ma faute : — Maintenant, dis-je, vous direz à ce tombé [4] que son fils est encore parmi les vivants. Et si, tardant de répondre, je demeurai muet, faites lui savoir que ce fut parce que j’étais encore dans l’erreur dont vous m’avez tiré [5]. Déjà mon Maître me rappelait, ce pourquoi je priai l’esprit de se hâter de me dire qui était avec lui. Il me dit : « Ici je gis avec plus de mille ; là-dessous est le second Frédéric, et le cardinal [6] : je me tais des autres. Puis il s’enfonça : et moi vers l’antique Poète je tournai mes pas, repensant aux paroles qui

  1. De telles lois, disent les commentateurs, qui entendent par tempio le lieu où s’assemblaient les magistrats. Ce mot, joint à celui d’ovazione, nous paraît, dans la pensée du Dante, trop d’accord avec les ardentes passions politiques du temps, ériger la vengeance en une sorte de culte.
  2. Dante, inquiet de ces paroles obscures et menaçantes de Farinata : Tu sauras ce que coûte cet art, le prie de s’expliquer plus clairement.
  3. Après le Jugement dernier, où il n’y aura plus d’avenir, parce qu’il n’y aura plus de temps.
  4. Cavalcante de’ Cavalcanti.
  5. « Parce que je croyais, à tort, que les damnés connaissaient les choses présentes. »
  6. Le cardinal Ottaviano degli Ubaldini, si passionnément attaché au parti Gibelin, qu’il disait : « S’il y a une âme, je l’ai perdue pour les Gibelins. » — Voilà pourquoi il est mis ici parmi les hérétiques.