Page:Dante - La Divine Comédie, trad. Lamennais, 1910.djvu/85

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sentent point fatiguées. Voyez l’autre qui grince des dents, je parlerais encore, mais je crains qu’il ne s’apprête à me gratter la peau. » Et le grand préposé [1], se tournant vers Farfarello qui tournait les yeux, prêt à frapper, dit : « Au large, méchant oiseau ! » — « Si vous voulez, reprit l’effrayé, voir ou entendre des Toscans ou des Lombards, j’en ferai venir. Mais qu’un peu à l’écart se tiennent les Malebranche, de sorte qu’ils ne craignent point leurs vengeances. Et moi, m’asseyant en ce lieu même, pour un que je suis, j’en ferai, bien le sais-je, venir sept quand je sifflerai, comme nous avons coutume de faire lorsqu’un de nous se hasarde dehors. » À ces paroles Cagnazzo leva le museau en secouant la tête, et dit : « Oyez la malice que, pour se jeter dessous, il a imaginée ! » Et lui qui avait des lacets en grande abondance, répondit : « Trop malicieux suis-je, en effet, quand j’attire sur les miens plus de douleur. »

Alichino ne se contint pas, et, a l’opposé des autres [2], il lui dit : « Si tu plonges, je ne viendrai pas à toi au galop ; mais sur la poix je battrai des ailes. Qu’on laisse le bord, et que derrière la berge on se retire pour voir si tu vaux mieux que nous. »

Ô toi qui lis, tu vas entendre parler d’un jeu nouveau. Vers l’autre côté chacun tourna les yeux, et, le premier, celui à qui le plus il coûtait de le faire [3]. Le Navarrais prit bien son temps : il affermit les pieds à terre, et en un clin d’œil il sauta, et à leurs desseins se déroba. De quoi chacun soudain fut contrit ; mais celui-là plus qui de la faute était cause, pourtant il s’élança, criant : « Je le tiens ! » Mais peu lui servit ; les ailes ne purent devancer la peur : celui-là dessous s’enfonça ; et celui-ci volant au dessus, dressa la poitrine, comme le canard, quand le faucon s’approche, tout à coup plonge, et lui s’en va courroucé et défait.

Irrité de la moquerie, Calcabrina vola derrière Alichino, désireux que l’autre échappât, pour venir aux prises [4], et

  1. Barbariccia, chef des dix démons.
  2. Qui ne voulaient pas s’exposer à voler sur la poix de peur d’y engluer leurs ailes.
  3. C’est-à-dire Cagnazzo, qui se défiait de Gomita et de ses ruses.
  4. Désireux que Gomita échappât à Alichino, pour venir aux prises avec celui-ci.