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INTRODUCTION.

couleur, quelque chose de pensif et de sévère dans la physionomie.

Les premiers chants de la Divine Comédie, répétés de bouche en bouche, avaient tellement frappé les imaginations, que les femmes de Florence se disaient l’une à l’autre à voix basse : « Voilà celui qui va en enfer et en revient. » Il semblait que déjà hors de la sphère des êtres mortels il fût, aux yeux du peuple, comme un de ces fantômes qu’il avait évoqués[1].

Et n’est-ce pas en effet un fantôme, une ombre humaine qu’on voit passer là sur tous les chemins de l’Italie, de la France, allant, venant, sans aucun repos ? Ce repos que jamais il ne devait trouver sur la terre, était devenu sa seule pensée, son désir unique. Vers la fin de sa vie, étant par hasard entré dans un cloître, un religieux lui demanda ce qu’il cherchait, il répondit : Pace !

Ainsi vécut dans la souffrance et la pauvreté, et mourut dans l’exil, celui dont le nom ne devait jamais mourir. Sa destinée rappelle la destinée d’Homère, du Tasse, de Camoëns, de Milton. Ce n’est pas gratuitement que le génie est accordé à l’homme, et si l’on savait ce qu’il faut le payer, qui se sentirait l’âme

  1. Une autre note au crayon semble attester que Lamennais avait en vue quelques détails relatifs à l’effet extraordinaire produit par la Divine Comédie. Elle renvoie et nous renvoyons le lecteur au Cours de littérature de M. Villemain (Moyen Age), tome Ier, p. 314, édit. Didier.