Page:Darien - L’Épaulette, Fasquelle, 1905.djvu/379

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J’expose les choses à mon père ; et je termine en lui demandant s’il ne soupçonne pas…

— Je ne soupçonne pas ! s’écrie-t-il. Je sais. Tu es en train d’expier, mon garçon, une grande faute que tu as commise. Vois-tu, il n’y a pas de crime sans châtiment ; c’est une loi de la providence. La vengeance est bossue, comme a dit le poète, mais elle vient. Elle est venue pour toi. Sais-tu qui a poussé Camille Dreikralle à publier cet article qui, si je n’étais pas là, briserait ton avenir et t’obligerait même peut-être à donner demain ta démission ? C’est sa femme. Et sais-tu comment s’appelait Mme Dreikralle avant son mariage ? Elle s’appelait Mlle Adèle Curmont. Ha !… Tu peux faire tes yeux de merlan frit, mon vieux lapin ; c’est comme ça. Ah ! il arrive de drôles de choses dans la vie du monde !… Moi, il y a déjà longtemps que je sais à quoi m’en tenir. Quand j’ai vu qu’on ne voulait pas me laisser te prendre comme officier d’ordonnance lors de l’expédition du Garamaka, je me suis douté de quelque chose ; je me suis informé et j’ai appris que l’opposition venait de Camille Dreikralle. Ne comprenant pas bien, j’ai cherché à savoir davantage ; j’ai appris ce que je viens de te dire — et aussi ce que tu ne m’avais jamais dit. — Entre nous, tu n’es qu’un cochon… Comment ! tu abuses de cette jeune fille, tu la plantes là et tu ne lui donnes plus signe de vie ! Tu n’as même pas l’idée de lui envoyer des fleurs ! Mais à quoi penses-tu ? Il y a des choses qui se comprennent d’elles-mêmes : on doit toujours envoyer des fleurs à la femme, après. Elle interprète l’envoi à sa façon, c’est-à-dire d’une façon qui ne lui est jamais désagréable, et elle ne vous en veut pas. Réellement, mon ami tu n’as pas la moindre notion de savoir-vivre. Que tu n’aies pas revu Adèle Curmont, que tu ne lui aies pas écrit, c’était parfait. Mais il fallait lui envoyer des fleurs. Ce n’était pas compromettant, ça n’engageait à rien, mais ça constituait un tendre sou-