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souffleter des épithètes vengeresses qu’on vint plaquer sur son cercueil. Voilà une preuve de la pusillanimité honteuse qui souille le caractère français. Cette lâcheté morale produit, naturellement, les résultats qu’on en peut attendre. L’infamie de la bêtise arrive à prendre la place qu’occupait, en vertu de droits acquis, la bêtise de l’infamie. Pendant quinze ans, pendant vingt ans, le public se délecte à la lecture des contes excrémentiels du répugnant Armand Silvestre ; cet épouvantable drôle, du fond d’un ministère où l’imbécillité des contribuables entretient son abjection, dirige vers les bouches béantes de la foule un jet continu d’immondices. D’autres l’imitent ; les encriers sont remplacés par des tinettes. Dans la presse littéraire, qui fut fondée pour répondre aux désirs avoués d’une population de coprophages, la chaise percée fait au bidet une concurrence acharnée. Le livre, le théâtre, illustrent les annales du cabinet de toilette, des cabinets. On se rue à des spectacles comme le Coucher de la mariée ; on s’écrase aux réceptions du Pétomane. On s’amuse, en France.

Ah ! il faut avoir une terrible désolation dans l’âme pour s’amuser de cette façon-là ! Et la bourgeoisie, par le navrant étalage de sa gaîté puante et lugubre, démontre quelles frayeurs angoissantes lui pétrissent le cœur, quel désespoir l’étreint ; elle veut rendre cette gaîté obligatoire ; l’impose aux troupeaux d’esclaves en chapeaux hauts de forme dont l’ambition consiste à singer leurs maîtres ; l’organise non seulement à Paris, mais même dans les provinces ; l’expose à l’étranger, autant que possible. Car il faut qu’on continue à parler de la gaîté française, à dire que la France est le pays du rire et de l’esprit.

Du reste, on peut le dire ; c’est vrai, au moins en partie. Il y a du rire et de l’esprit en France. Seulement, on n’en trouve ni dans la bourgeoisie ni chez les bouffons à ses gages. C’est dans le peuple qu’on en rencontre, et tant qu’on veut ; et même de la gaîté ; et même plus que de la gaîté : de la joie. Je ne parle pas simplement du