Page:Darien - La Belle France.djvu/113

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bien française. C’est en France surtout que l’opium de la misère, le vin d’amertume de la pauvreté, opèrent comme de puissants narcotiques. La logique disparaît pour faire place aux songes. La perception nette devient une vision brumeuse. Les rêves des Français ne sont point créés peu à peu par les faits, les symbolisant en quelque sorte ; ils sont complets en naissant, cadres commodes pour les sensations et les sentiments à venir, qui se cristalliseront en des formules consacrées, d’allure énigmatique et prétentieuse. Car les Français, manquant généralement d’esprit critique, portent leur effort vers l’immuable et l’universel. Leur idéal doit être très haut, à ce qu’ils croient, dégagé de relations contingentes, et d’une permanence indubitable. Ils tirent plutôt des horoscopes que des conclusions. Ils vont jusqu’à tourner des faits réels en utopies, par manque de raison historique et pratique.

C’est ainsi que les Pauvres français, tout en souffrant vaguement de la laideur qui les enserre, ne peuvent considérer la Beauté que comme une chose indépendante de la vie, à part des réalités quotidiennes, extra-terrestre. La pauvreté de leur âme la réclame ; crie vers elle, dans sa détresse. Mais c’est comme une invocation à une puissance invisible dont on n’attend que le silence, qui restera sourde aux appels. S’ils étaient doués du moindre sens historique, les Français comprendraient que leur existence, dès maintenant, ne peut avoir d’autre base que la compréhension et le culte du beau. S’il avaient le moindre sens pratique, ils verraient qu’ils doivent échapper, sous peine de mort, à la griffe des gredins sans esprit, sans âme, sans savoir — Prudhommes et Mayeux dirigés par Tartufe — qui font de leur vie quelque chose de terre-à-terre et de misérable, une triste, laide et sale chose, un esclavage nauséabond dans lequel il n’y a point place pour l’Art. La compréhension, le goût de l’Art, sans lesquels la France ne doit espérer vivre, ne peuvent exister que dans un pays où il y a exubérance, grande liberté de vie ; où le bonheur, par conséquent, est général ; car l’art est le fruit de la beauté humaine ; et pas de beauté sans bonheur. L’Art