Page:Darien - La Belle France.djvu/17

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Que la France, qui n’a pas confiance en elle-même, ait confiance en son alliée, c’est plus que problématique. Des signes nombreux prouvent que, malgré tous les efforts, elle n’y peut parvenir. Il est triste de voir une nation chercher à se mentir à elle-même ; à duper, par l’exposé de convictions factices, ses sentiments réels ; à se repaître d’illusions et d’impostures. Pas une fois, depuis 1870, la France n’a agi en nation sûre d’elle-même, consciente de sa valeur et de sa force. La noble blessée dont parlait Thiers est devenue une infirme sans noblesse. Et ce qu’il y a de plus entier chez l’infirme, c’est l’orgueil creux, la vanité. Peu lui importe de donner le pitoyable spectacle de ses rages puériles et de ses haines impuissantes, pourvu que les flatteurs ne lui manquent pas, pourvu qu’il puisse se contempler dans le miroir trompeur que lui tend l’amour-propre. Et plus les espoirs de revanche s’évanouissent, plus les possibilités d’action, même défensive, diminuent, plus la France se rapproche de son armée ; plus elle se prend, pour son appareil militaire, d’un amour exclusif et déraisonné. Elle s’éloigne de tout le reste, s’écarte avec des frissons maladifs de tout ce qui peut constituer sa vraie force, sa véritable gloire ; elle fait aussi bon marché de son bien-être que de son honneur général. L’Armée seule, et c’est assez. Il ne faut point la discuter, il ne faut pas y toucher. C’est l’idole, le veau de fer et d’acier devant laquelle la France se prosterne. Elle ferme les yeux, de parti-pris, sur les erreurs de cette armée, sur ses fautes et ses tares ; elle veut imposer le culte de ses chefs, si indignes soient-ils et quelles que soient l’incurie ou l’incapacité dont ils ont fait preuve. En dépit de tout, le respect et l’admiration leur sont dus. À eux les adulations, les louanges, les triomphes, les applaudissements. Les besoins, les désirs, les intérêts, les aspirations du pays tout entier leur ont été sacrifiés, toutes ses ressources mises à leur disposition. Ils sont les maîtres.

Et, quand on regarde au fond des choses ; quand on voit que, depuis trente ans, la nation tout entière a vécu sous leur domination de plus en plus rude, de plus en plus