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poids ; puis, des choses légères : le paradisiaque craquement du lit de sangle ; le grenier où l’on est bien à vingt ans ; le pot de fleurs, jardin suspendu de Jenny l’ouvrière, au cœur content, content de peu. Il y a l’apothéose de la mansarde, le lyrisme du grabat, la poésie de la soupente, la romance du plomb. Les pauvres ont de la chance. On peut ajouter, avec l’ironie de Jowett, qu’ils ont l’immense bonheur d’être affranchis des doutes religieux. Ah ! les veinards ! Et ils la connaissent, leur félicité. Ils la goûtent, ils s’en soûlent — ils en dégueulent, ils en crèvent.

Quand ils sont crevés, et qu’on fouille les cadavres, il y a une chose qu’on trouve souvent dans leurs poches : une carte. Dans la poche de la femelle, une carte de prostituée ; dans la poche du mâle, une carte d’électeur. C’est de ça qu’ils sont morts, tous les deux. Esclavage de la femme. Lâcheté de l’homme.

Le Pauvre anglais est rarement électeur. Le Pauvre français, le plus misérable, est toujours électeur. Il vote pour un politicien qui lui promet de la justice. Le politicien, une fois élu, essuie ses bottes sur la figure de l’électeur. Il tient parole ; il y a de la justice sous ses bottes ; c’est là seulement qu’il y a de la justice : sous les bottes des politiciens. (Je ne veux rien cacher : il y en a aussi sous celles des gendarmes).

Depuis le temps qu’on promet de la justice aux hommes, et même qu’on leur en donne, ils devraient en être rassasiés ; ils en redemandent. Ils croient toujours que la justice qu’on leur a fournie était une justice sophistiquée, avariée, qui n’avait pas le poids ; ils en réclament de la bonne, de la vraie. Pauvres, je vais vous dire le mot de l’énigme : de la vraie justice, de la bonne, il n’y en a pas. Il faut vous contenter de celle qu’on vous présente, ou vous en passer tout à fait. Voilà l’impure vérité.

La justice dont on vous gratifie est relative ; elle est relative à vos exigences. Elle est dérisoire, parce que vos exigences le sont aussi. Les gens qui vous distribuent cette justice, magistrats ou autres, sont des pauvres aveuglés par le désir de la richesse, ou ce sont des riches ; la jus-