Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/120

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autres en faisant un vacarme effroyable. Brehm, qui accompagnait le duc de Cobourg-Gotha, prit part à une attaque faite avec des armes à feu contre une troupe de babouins dans la passe de Mensa, en Abyssinie. Ceux-ci ripostèrent en faisant rouler sur les flancs de la montagne une telle quantité de pierres, dont quelques-unes avaient la grosseur d’une tête d’homme, que les assaillants durent battre vivement en retraite ; la caravane ne put même franchir la passe pendant quelques jours. Il faut remarquer que, dans cette circonstance, les singes agissaient de concert. M. Wallace[1] a vu, dans trois occasions différentes, des orangs femelles, accompagnées de leurs petits, « arracher les branches et les fruits épineux de l’arbre Durian avec toute l’apparence de la fureur, et lancer une grêle de projectiles telle que nous ne pouvions approcher. » Le chimpanzé, comme j’ai pu le constater bien souvent, jette tout ce qui lui tombe sous la main à la tête de quiconque l’offense ; nous avons vu qu’un babouin, au cap de Bonne-Espérance, avait préparé de la boue dans ce but.

Un singe, au Jardin zoologique, dont les dents étaient faibles, avait pris l’habitude de se servir d’une pierre pour casser les noisettes ; un des gardiens m’a affirmé que cet animal, après s’en être servi, cachait la pierre dans la paille, et s’opposait à ce qu’aucun autre singe y touchât. Il y a là une idée de propriété, mais cette idée est commune à tout chien qui possède un os, et à la plupart des oiseaux qui construisent un nid.

Le duc d’Argyll[2] fait remarquer que le fait de façonner un instrument dans un but déterminé est absolument particulier à l’homme, et considère que ce fait établit entre lui et les animaux une immense distinction. La distinction est incontestablement importante, mais il me semble y avoir beaucoup de vraisemblance dans la suggestion faite par sir J. Lubbock[3]. Il suppose que l’homme primitif a employé d’abord des silex pour un usage quelconque ; en s’en servant, il les a, sans doute, accidentellement brisés, et il a alors tiré parti de leurs éclats tranchants. De là à les briser avec intention, puis à les façonner grossièrement, il n’y a qu’un pas. Ce dernier progrès, cependant, peut avoir nécessité une longue période, si nous en jugeons par l’immense laps de temps qui s’est écoulé, avant que les hommes de la période néolithique en soient arrivés à aiguiser et à polir leurs outils en pierre. En brisant les silex, ainsi que le fait remarquer encore sir J. Lubbock, des

  1. The Malay Archipelago, vol. I, 1869, p. 87.
  2. Primeval Man, 1869, pp. 145, 147.
  3. Prehistoric Times, 1865, p. 473, etc.