Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/136

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respect, de reconnaissance, d’espoir pour l’avenir, et peut-être encore d’autres éléments. Aucun être ne saurait éprouver une émotion aussi complexe, à moins que ses facultés morales et intellectuelles n’aient acquis un développement assez considérable. Nous remarquons, néanmoins, quelque analogie, bien faible il est vrai, entre cet état d’esprit et l’amour profond qu’a le chien pour son maître, amour auquel se joignent une soumission complète, un peu de crainte et peut-être d’autres sentiments. La conduite du chien, lorsqu’il retrouve son maître après une absence, et, je puis l’ajouter, celle d’un singe vis-à-vis de son gardien qu’il adore, est très différente de celle que tiennent ces animaux vis-à-vis de leurs semblables. Dans ce dernier cas, les transports de joie paraissent être moins intenses, et toutes les actions manifestent plus d’égalité. Le professeur Braubach[1] va jusqu’à soutenir que le chien regarde son maître comme un dieu.

Les mêmes hautes facultés mentales qui ont tout d’abord poussé l’homme à croire à des esprits invisibles, puis qui l’ont conduit au fétichisme, au polythéisme, et enfin au monothéisme, devaient fatalement lui faire adopter des coutumes et des superstitions étranges tant que sa raison est restée peu développée. Au nombre de ces coutumes et de ces superstitions il y en a eu de terribles : — les sacrifices d’êtres humains immolés à un dieu sanguinaire ; les innocents soumis aux épreuves du poison ou du feu ; la sorcellerie, etc. Il est, cependant, utile de penser quelquefois à ces superstitions, car nous comprenons alors tout ce que nous devons aux progrès de la raison, à la science et à toutes nos connaissances accumulées. Ainsi que l’a si bien fait remarquer sir J. Lubbock[2] : « Nous n’exagérons pas en disant qu’une crainte, qu’une terreur constante de l’inconnu couvre la vie sauvage d’un nuage épais et en empoisonne tous les plaisirs. » On peut comparer aux erreurs incidentes que l’on remarque parfois dans l’instinct des animaux cet avortement misérable, ces conséquences indirectes de nos plus hautes facultés.

  1. Religion, Moral, etc., der Darwin’schen Art-Lehre, 1869, p. 53. On affirme (Docteur W. Lauder Lindsay, Journal of mental Science, 1871, p. 43) que Bacon et que le poète Burns partageaient la même opinion.
  2. Prehistoric Times, 2e édit., p. 571. On trouvera dans cet ouvrage (p. 553) une excellente description de beaucoup de coutumes bizarres et capricieuses des sauvages.