Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/140

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sons, l’abeille, ou tout autre animal sociable, acquerrait quelque sentiment du bien et du mal, c’est-à-dire une conscience. Chaque individu, en effet, aurait le sens intime qu’il possède certains instincts plus forts ou plus persistants, et d’autres qui le sont moins ; il aurait, en conséquence, à lutter intérieurement pour se décider à suivre telle ou telle impulsion ; il éprouverait un sentiment de satisfaction, de regret, ou même de remords, à mesure qu’il comparerait à sa conduite présente ses impressions passées qui se représenteraient incessamment à son esprit. Dans ce cas, un conseiller intérieur indiquerait à l’animal qu’il aurait mieux fait de suivre une impulsion plutôt qu’une autre. Il comprendrait qu’il aurait dû suivre une direction plutôt qu’une autre ; que l’une était bonne et l’autre mauvaise ; mais j’aurai à revenir sur ce point.


Sociabilité. — Plusieurs espèces d’animaux sont sociables ; certaines espèces distinctes s’associent même les unes aux autres, quelques singes américains, par exemple, et les bandes unies de corneilles, de freux et d’étourneaux. L’homme manifeste le même sentiment dans son affection pour le chien, affection que ce dernier lui rend avec usure. Chacun a remarqué combien les chevaux, les chiens, les moutons, etc., sont malheureux, lorsqu’on les sépare de leurs compagnons ; et combien les deux premières espèces surtout se témoignent d’affection lorsqu’on les réunit. Il est curieux de se demander quels sont les sentiments d’un chien qui se tient tranquille dans une chambre, pendant des heures, avec son maître ou avec un membre de la famille, sans qu’on fasse la moindre attention à lui, tandis que, si on le laisse seul un instant, il se met à aboyer ou à hurler tristement. Nous bornerons nos remarques aux animaux sociables les plus élevés, à l’exclusion des insectes, bien que ces derniers s’entr’aident de bien des manières. Le service que les animaux supérieurs se rendent le plus ordinairement les uns aux autres est de s’avertir réciproquement du danger au

    sauvages, l’homme résout le problème par le meurtre des enfants femelles, par la polyandrie et par la communauté des femmes ; on est en droit de douter que ces méthodes soient beaucoup plus douces. Miss Cobbe, en discutant le même exemple (Darwinism in Morals, Theological Review, avril 1872, pp. 188-191), soutient que les principes du devoir social seraient ainsi violés. Elle entend par là, je suppose, que l’accomplissement d’un devoir social deviendrait nuisible aux individus ; mais il me semble qu’elle oublie, ce qu’elle doit cependant admettre, que l’abeille a acquis ces instincts parce qu’ils sont avantageux pour la communauté. Miss Cobbe va jusqu’à dire que, si on admettait généralement la théorie de la morale exposée dans ce chapitre, « l’heure du triomphe de cette théorie sonnerait en même temps le signal funèbre de la destruction de la vertu chez l’humanité ! » Il faut espérer que la persistance de la vertu sur cette terre ne repose pas sur des bases aussi fragiles.