Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/149

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s’élance après un lièvre, est rappelé, s’arrête, hésite, reprend la poursuite ou revient honteux vers son maître ; ou bien encore la lutte entre l’amour maternel d’une chienne pour ses petits et son affection pour son maître, lorsqu’on la voit se dérober pour aller vers les premiers, en ayant l’air honteux de ne pas accompagner le second. Un des exemples les plus curieux que je connaisse d’un instinct en dominant un autre est celui de l’instinct de la migration qui l’emporte sur l’instinct maternel. Le premier est étonnamment fort ; un oiseau captif, lors de la saison du départ, se jette contre les barreaux de sa cage jusqu’à se dépouiller la poitrine de ses plumes et à se mettre en sang. Il fait bondir les jeunes saumons hors de l’eau douce, où ils pourraient, cependant, continuer à vivre, et leur fait ainsi commettre un suicide involontaire. Chacun connaît la force de l’instinct maternel, qui pousse des oiseaux très timides à braver de grands dangers, bien qu’ils le fassent avec hésitation et contrairement aux inspirations de l’instinct de la conservation. Néanmoins, l’instinct de la migration est si puissant, qu’on voit en automne des hirondelles et des martinets abandonner fréquemment leurs jeunes et les laisser périr misérablement dans leurs nids[1].

Nous pouvons concevoir qu’une impulsion instinctive, si elle est, de quelque façon que ce soit, plus avantageuse à une espèce qu’un instinct autre ou opposé, devienne la plus énergique grâce à l’action de la sélection naturelle ; les individus, en effet, qui la possèdent au plus haut degré doivent persister en plus grand nombre. Il y a lieu de douter, toutefois, qu’il en soit ainsi de l’instinct migrateur comparé à l’instinct maternel. La persistance et l’action soutenue du premier pendant tout le jour, à certaines époques de l’année, peuvent lui donner, pour un temps, une énergie prépondérante.


L’homme, animal sociable. – On admet généralement que l’homme est un être sociable. Il suffit pour le prouver de rappeler son aversion pour la solitude et son goût pour la société, outre celle de sa

  1. Le Rev. L. Jenyns (White’s Nat. Hist. of Selborne, 1853, p. 204) assure que ce fait a été observé pour la première fois par l’illustre Jenner (Philos. Transactions, 1824), et a été confirmé depuis par plusieurs naturalistes, surtout par M. Blackwall. Ce dernier a examiné, tard en automne, et pendant deux ans, trente-six nids ; il en trouva douze contenant des jeunes oiseaux morts ; cinq, des œufs sur le point d’éclore, et trois, des œufs qui en étaient encore bien loin. Les oiseaux, encore trop jeunes pour pouvoir entreprendre un long voyage, restent en arrière. Blackwall, Researches in Zoology, 1834, pp. 108, 118. Voir aussi Leroy, Lettres philosophiques, 1802, p. 217. Gould, Introduction to the Birds of Great Britain, 1823, p. 5. M. Adams, Popular Science Review, juillet 1873, p. 283, a observé, au Canada, des faits analogues.