Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/160

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ches ; car le meurtre des enfants, et surtout des femelles, a été regardé comme avantageux, ou au moins comme non nuisible, pour la tribu. Autrefois le suicide n’était pas ordinairement considéré comme un crime[1], mais plutôt comme un acte honorable, en raison du courage dont il était la preuve ; il est encore largement pratiqué chez quelques nations à demi civilisées, sans qu’il s’y attache aucune idée de honte, car une nation ne ressent pas la perte d’un seul individu. On raconte qu’un Thug indien regrettait vivement de n’avoir pas pu voler et étrangler autant de voyageurs que son père l’avait fait avant lui. Dans un état grossier de civilisation, voler les étrangers est même ordinairement considéré comme un acte honorable.

Bien que l’esclavage, dans l’antiquité[2], ait eu sa raison d’être et ait été utile à certains égards, il n’en constitue pas moins un grand crime. Toutefois les peuples les plus civilisés ne le considéraient pas comme tel jusque tout récemment, ce qui résultait évidemment de ce que les esclaves appartenaient d’ordinaire à une race autre que celle de leurs maîtres. Les barbares ne tenant aucun compte de l’opinion de leurs femmes les traitent habituellement comme des esclaves. La plupart des sauvages se montrent totalement indifférents aux souffrances des étrangers, et même se plaisent à en être témoins. On sait que, chez les Indiens du nord de l’Amérique, les femmes et les enfants aident à torturer les ennemis. Quelques sauvages prennent plaisir à pratiquer d’atroces cruautés sur les animaux[3], et l’humanité est pour eux une vertu inconnue. Néanmoins les sentiments de sympathie et de bienveillance sont communs, surtout pendant la maladie, entre membres d’une même tribu ; ils peuvent même s’étendre au delà. On connaît le touchant récit que fait Mungo Park de la bonté qu’eurent pour lui les femmes nègres de l’intérieur. On pourrait citer bien des exemples de la noble fidélité des sauvages les uns envers les autres, mais pas envers les étrangers, et l’expérience commune justifie la maxime espagnole : « Il ne faut jamais se fier à un Indien. » Il n’y a pas de fidélité sans loyauté ; cette vertu fondamentale n’est

  1. Voir La discussion fort intéressante sur le suicide, dans Lecky, History of European Morals, vol. I, 1869, p. 223. M. Winwood Reade affirme que les nègres de l’Afrique occidentale commettent souvent le suicide. On sait combien le suicide était fréquent chez les misérables indigènes de l’Amérique méridionale après la conquête espagnole. Pour la Nouvelle-Zélande, voir le Voyage de la Novara ; pour les îles Aléoutiennes, voir Houzeau, les Facultés mentales, vol. II, p. 136.
  2. Bagehot, Physics and Politics, 1872, p. 72.
  3. Voir l’étude de M. Hamilton sur les Cafres, Anthropological Review, 1870. p. xv.