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c’est là probablement un acte tout instinctif qui serait aussi bien accompli par un jeune animal que par un vieux. On ne saurait en dire autant du cas suivant. Un naturaliste digne de foi, M. Gardner[1], observait un Gelasimus occupé à creuser son trou ; il jeta vers le trou commencé quelques coquilles, dont une roula dans l’intérieur, et trois autres s’arrêtèrent à une petite distance du bord. Cinq minutes après, le crabe sortit la coquille qui était tombée dans l’intérieur et l’emporta à un pied de distance ; voyant ensuite les trois coquilles qui se trouvaient tout près, et pensant évidemment qu’elles pourraient aussi rouler dans le trou, il les porta successivement au point où il avait placé la première. Il serait difficile, je crois, d’établir une distinction entre un acte de ce genre et celui qu’exécuterait un homme usant de sa raison.

Quant à la coloration souvent si différente chez les mâles et les femelles des animaux appartenant aux classes élevées. M. Spence Bate ne connaît pas d’exemples bien prononcés de coloration différente chez nos Crustacés d’Angleterre. Dans quelques cas, cependant, on constate de légères différences de nuance entre le mâle et la femelle, qui, selon M. Bate, peuvent s’expliquer par la différence des habitudes ; le mâle, par exemple, est plus actif et est ainsi plus exposé à l’action de la lumière. Le docteur Power a tenté de distinguer, au moyen de la couleur, les sexes des espèces habitant l’île Maurice, sans pouvoir y parvenir, sauf pour une espèce de Squille, probablement le S. stylifera ; le mâle affecte une superbe teinte bleu verdâtre, avec quelques appendices rouge cerise ; tandis que la femelle est ombrée de brun et de gris avec quelques parties rouges beaucoup plus ternes que chez le mâle[2]. On peut, dans ce cas, soupçonner l’influence de la sélection sexuelle. Il semble résulter des expériences faites par M. Bert sur les Daphnia que les Crustacés inférieurs, placés dans un vase illuminé par un prisme, savent distinguer les couleurs. Les Saphirina mâles (un genre océanique des Entomostracés, inférieur par conséquent) sont pourvus de petits boucliers ou corps cellulaires, affectant de magnifiques couleurs changeantes ; ces boucliers font défaut chez les femelles, et dans une espèce chez les deux sexes[3]. Il serait toutefois téméraire de conclure que ces curieux organes ne servent qu’à attirer les femelles. La femelle d’une espèce brésilienne de Gelasi-

  1. Travels in the Interior of Brazil, 1846, p. 111. J’ai donné, dans mon Journal de recherches, p. 463, une description des habitudes des Birgos.
  2. M. Ch. Fraser, Proc. Zoolog. Soc., 1899, p. 3. C’est à M. Bate que je dois le fait observé par le Dr Power.
  3. Claus, Die freilebenden Copepoden, 1863, p. 35.