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cée chez les mâles plus âgés qui ont déjà remonté les rivières. Les mâchoires de ces vieux mâles se transforment en de formidables crochets, et les dents deviennent de véritables crocs, ayant souvent près de deux centimètres de longueur. Chez le saumon d’Europe, selon M. Lloyd[1], la conformation en crochet temporaire sert à fortifier et à protéger les mâchoires lorsque les mâles chargent l’un contre l’autre avec une impétueuse violence ; mais les dents si considérablement développées du saumon mâle américain peuvent se comparer aux défenses de beaucoup de mammifères du même sexe, et indiquent un but offensif plutôt que défensif.

Le saumon n’est pas le seul poisson chez lequel les dents diffèrent selon le sexe. On observe les mêmes différences chez beaucoup de raies. Chez la raie bouclée (Raia clavata), le mâle adulte a des dents tranchantes et aiguës, recourbées en arrière, tandis que celles de la femelle sont larges et aplaties, formant une sorte de pavage ; de sorte que, dans ce cas, les dents, chez les mâles et les femelles d’une même espèce, présentent des différences plus considérables qu’elles ne le sont ordinairement chez des genres distincts d’une même famille. Les dents du mâle ne deviennent aiguës que lorsqu’il est adulte ; dans le jeune âge elles sont plates comme celles de la femelle. Ainsi qu’il arrive souvent pour les caractères sexuels secondaires, les mâles et les femelles de quelques espèces de raies, la raie cendrée (R. batis) par exemple, ont, quand ils sont adultes, les dents acérées et pointues ; ce caractère propre au mâle, et primitivement acquis par lui, paraît s’être transmis aux descendants de l’un et l’autre sexe. Les mâles et les femelles de la R. maculata, possèdent aussi des dents pointues, mais seulement quand ils sont complètement adultes ; elles paraissent plus tôt chez les mâles que chez les femelles. Nous aurons à observer des cas analogues chez les oiseaux ; chez quelques espèces, en effet, le mâle acquiert le plumage commun aux deux sexes adultes, à un âge un peu plus précoce que la femelle. Il y a d’autres espèces de raies chez lesquelles les mâles, même âgés, n’ont jamais de dents tranchantes, et où, par conséquent, les deux sexes adultes, ont des dents larges et plates comme les jeunes et les femelles adultes des espèces précédemment indiquées[2]. Les raies sont des poissons hardis, forts et voraces ; nous pouvons donc supposer que les mâles ont besoin de leurs dents acérées pour lutter avec leurs rivaux ; mais comme ils sont pourvus de nombreux organes

  1. Scandinavian adventures, vol. I, 1854, p. 100, 104.
  2. Voir ce qu’a dit des Raies, Yarrell (o. c., II, p. 416) avec une excellente figure, et p. 422, 432.