Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/470

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ornements, il passe quelquefois la tête, ainsi qu’a pu l’observer M. Bartlett, entre deux des longues rémiges ; l’oiseau, dans ce cas, présente une apparence grotesque. Ce doit être là, d’ailleurs, une habitude du faisan Argus à l’état sauvage, car M. Bartlett et son fils, en examinant des peaux en parfait état de conservation qui leur avaient été envoyées de l’Orient, ont remarqué, entre deux des plumes, un endroit usé évidemment par le passage fréquent de la tête de l’oiseau. M. Wood pense que le mâle peut aussi surveiller la femelle en regardant de côté sur le bord de l’éventail.

Les ocelles qui décorent les rémiges du faisan Argus sont ombrés avec une telle perfection, que, comme le fait remarquer le duc d’Argyll[1], ils représentent absolument une boule qu’on aurait posée dans un alvéole. J’éprouvai toutefois un grand désappointement quand j’examinai l’individu empaillé qui se trouve au British Muséum ; on l’a monté les ailes déployées mais abaissées ; les ocelles me paraissent plats et même concaves. Mais M. Gould me fit aussitôt comprendre la cause de mon désappointement ; il lui suffisait pour cela de placer ces plumes dans la position que leur donne l’oiseau quand il les étale devant la femelle. Or, dès que les rémiges se trouvent dans la position verticale et que la lumière les frappe par en haut, l’effet complet des ombres se produit, et chaque ocelle (fig. 52) prend l’aspect d’une boule dans une cavité. Tous les artistes à qui on a montré ces plumes ont admiré la perfection avec laquelle elles sont ombrées. Une question vient tout naturellement à l’esprit : comment la sélection sexuelle a-t-elle pu déterminer la formation de ces ornements si artistiques ? Nous nous réservons de répondre à cette question dans le chapitre suivant, après avoir discuté le principe de la gradation.

Les remarques précédentes s’appliquent aux rémiges secondaires du faisan Argus, mais les rémiges primaires, qui ont une coloration uniforme chez la plupart des gallinacés, ne sont pas, chez cet oiseau, moins merveilleuses. Elles affectent une teinte brune douce et sont parsemées de nombreuses taches foncées, dont chacune consiste en deux ou trois points noirs entourés d’une zone foncée. Mais l’ornement principal de ces rémiges consiste en un seul espace parallèle à la tige bleue foncée, dont le contour figure une seconde plume parfaite contenue dans la plume véritable. Cette portion intérieure affecte une couleur châtain plus clair, et est parsemée de petits points blancs. J’ai montré ces plumes à bien des personnes et plusieurs les ont préférées même aux plumes à ocelles,

  1. The Reign of Law, 1867, p. 203.