Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/524

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que ces caractères fussent plus prononcés chez le mâle que chez la femelle ; c’est cependant ce qui est arrivé chez ces deux races.

Il faudrait suivre le même procédé et surmonter les mêmes difficultés pour arriver à créer une race où les femelles seules présenteraient une nouvelle couleur.

Enfin, l’éleveur pourrait vouloir créer une race chez laquelle les deux sexes différeraient l’un de l’autre, et tous deux de l’espèce parente. Dans ce cas la difficulté serait extrême, à moins que les variations successives ne fussent dès l’abord sexuellement limitées des deux côtés. Les races gallines nous fournissent un exemple de ce fait ; ainsi, les deux sexes de la race pointillée de Hambourg diffèrent beaucoup l’un de l’autre, outre qu’ils diffèrent considérablement aussi des deux sexes de l’espèce originelle, le gallus bankiva ; une sélection continue permet actuellement de conserver chez chacun d’eux le nouveau type parfait, ce qui serait impossible si la transmission de leurs caractères distinctifs ne se trouvait pas limitée. La race espagnole offre un exemple plus curieux encore ; le mâle porte une énorme crête, mais il paraît que quelques-unes des variations successives, dont elle représente l’accumulation totale, ont été transmises aux femelles qui sont pourvues d’une crête beaucoup plus considérable que celle de la poule de l’espèce parente. Or la crête de la femelle diffère de celle du mâle en ce qu’elle est sujette à s’incliner ; la fantaisie des éleveurs ayant récemment exigé qu’il en fût désormais ainsi, on a promptement obtenu ce résultat. Cette inclinaison particulière de la crête doit être sexuellement limitée dans sa transmission, car, autrement, elle serait un obstacle à ce que celle du mâle restât parfaitement droite, ce qui, pour les éleveurs, constitue la suprême élégance du coq espagnol. D’autre part, il faut que la rectitude de la crête chez le mâle soit aussi un caractère limité à ce sexe, car autrement il s’opposerait à ce qu’elle s’inclinât chez la poule.

Les exemples précédents nous prouvent que, en admettant qu’on puisse disposer d’un temps presque infini, il serait extrêmement difficile, peut-être même impossible, de transformer, au moyen de la sélection, une forme de transmission en une autre. Par conséquent, sans preuves absolues dans chaque cas, je serais peu disposé à admettre que ce changement ait été réalisé chez les espèces naturelles. D’autre part, à l’aide de variations successives, dont la transmission serait limitée dès le principe par le sexe, on amènerait facilement un oiseau mâle à différer complètement de la femelle au point de vue de la couleur ou de tout autre caractère ; la femelle, au contraire, resterait intacte ou ne subirait que quelques modifications