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troupeau avec ses cornes ; et, d’après Lloyd, l’élan de Suède tue roide un loup d’un coup de ses grandes cornes. On pourrait citer une foule de faits semblables. Le capitaine Hutton[1] a observé chez la chèvre sauvage de l’Himalaya (Capra ægagrus) comme on l’a d’ailleurs observé également chez l’ibex, l’un des usages secondaires les plus curieux des cornes d’un animal quelconque : si un mâle tombe accidentellement d’une certaine hauteur, il penche la tête de manière que ses cornes massives touchent d’abord le sol, ce qui amortit le choc. Les cornes de la femelle étant beaucoup plus petites, elle ne peut s’en servir pour cet usage, mais ses habitudes plus tranquilles rendent pour elle moins nécessaire l’emploi de cette étrange sorte de bouclier.

Chaque animal mâle se sert de ses armes à sa manière particulière. Le bélier commun fait une charge, et heurte l’obstacle de la base de ses cornes avec une force telle, que j’ai vu un homme fort renversé comme un enfant. Les chèvres et certaines espèces de moutons, comme l’Ovis cycloceros de l’Afghanistan[2], se dressent sur leurs pattes de derrière, et, non seulement « donnent le coup de tête, mais encore baissent la tête, puis la relèvent brusquement de façon à se servir de leurs cornes comme d’un sabre ; ces cornes, en forme de cimeterre, sont d’ailleurs fort tranchantes, à cause des côtes qui garnissent leur face antérieure. Un jour, un Ovis cycloceros attaqua un gros bélier domestique connu comme solide champion ; il en eut raison par la seule nouveauté de sa manière de combattre, qui consistait à toujours serrer de près son adversaire, à le frapper de la tête sur la face et le nez, et à éviter toute riposte par un bond rapide. » Dans le Pembrokeshire, un bouc, chef de troupeau, après plusieurs générations, et resté à l’état sauvage, très-connu pour avoir tué en combat singulier plusieurs autres mâles, avait des cornes énormes, dont les pointes étaient écartées de 39 pouces (0m,99). Le taureau commun perce, comme on sait, son adversaire de ses cornes, puis le lance en l’air ; le buffle italien ne se sert jamais de ses cornes, mais, après un effroyable coup de son front convexe, il plie les genoux pour écraser son ennemi renversé, instinct que n’a pas le taureau[3]. Aussi un chien qui saisit un buffle par le nez est-il aussitôt écrasé. Mais le buffle italien est réduit depuis longtemps à l’état domestique, et il n’est pas certain que ses

  1. Calcutta, Journal of Nat. Hist., II, p. 526, 1843.
  2. M. Blyth, Land and Water, March, 1867, p. 134 ; sur l’autorité du Cap. Hutton et autres. Pour les chèvres sauvages du Pembrokeshire, Field, 1869, p. 150.
  3. M. E. M. Bailly, sur l’usage des cornes, Ann. Sciences Nat., 1re série, II, p. 369, 1824.