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de ses poussins. Il la salue et la flatte jusqu’à ce qu’il parvienne à se mettre entre elle et l’eau, de manière à l’empêcher de s’échapper. Alors il change de ton, et, avec un rude grognement, il la chasse vers son harem. Ceci continue jusqu’à ce que la rangée inférieure des harems soit presque remplie. Les mâles placés plus haut choisissent le moment où leurs voisins plus heureux ne sont pas sur leurs gardes, pour leur dérober quelques femelles. Ils les saisissent dans leur bouche, et les soulèvent au-dessus des autres femelles ; puis les portant comme les chattes portent leurs petits, ils les placent dans leur propre harem. Ceux qui sont encore plus haut font de même jusqu’à ce que tout l’espace soit occupé. Souvent deux mâles se disputent la possession d’une même femelle, et tous deux la saisissant en même temps, la coupent en deux ou la déchirent horriblement avec leurs dents. Lorsque l’espace destiné à ses femelles est rempli, le vieux mâle en fait le tour pour inspecter sa famille ; il gronde celles qui dérangent les autres, et expulse violemment les intrus. Cette surveillance est active et incessante. »

Nous savons si peu de chose sur la façon dont les animaux se courtisent à l’état de nature, que j’ai cherché à découvrir jusqu’à quel point nos quadrupèdes domestiques manifestent quelque choix dans leurs unions. Les chiens sont les animaux les plus favorables à ce genre d’observations, parce qu’on s’en occupe avec beaucoup d’attention et qu’on les comprend bien. Beaucoup d’éleveurs ont sur ce point une opinion bien arrêtée. Voici les remarques de M. Mayhew : « Les femelles sont capables de ressentir de l’affection, et les tendres souvenirs ont autant de puissance sur elles que chez des animaux supérieurs. Les chiennes ne sont pas toujours prudentes dans leur choix, et se donnent souvent à des roquets de basse extraction. Élevées avec un compagnon d’aspect vulgaire, il peut survenir entre eux un attachement profond que le temps ne peut détruire. La passion, car c’en est réellement une, prend un caractère véritablement romanesque. » M. Mayhew, qui s’est surtout occupé des petites races, est convaincu que les femelles préfèrent beaucoup les mâles ayant une grande taille[1]. Le célèbre vétérinaire Blaine[2] raconte qu’une chienne de race inférieure, qui lui appartenait, s’était attachée à un épagneul, et une chienne d’arrêt à un chien sans race, au point qu’aucune des deux ne voulut s’accoupler avec un chien de sa propre race avant que plusieurs semaines se fussent écoulées. Deux exemples semblables très-au-

  1. Dogs ; their management, par E. Mayhew, M. R. C. V. S., 2e édit., p. 187-192. 1864.
  2. Cité par Alex. Walker, On Intermarriage, p. 276, 1838. Voy. aussi page 244.