Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/86

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priés. Ces causes seules auraient suffi pour que l’attitude verticale fût avantageuse à l’homme, mais il est encore beaucoup d’actions qui exigent la liberté des deux bras et de la partie supérieure du corps, lequel doit pouvoir dans ce cas reposer solidement sur les pieds. Pour atteindre ce résultat fort avantageux, les pieds sont devenus plats, et le gros orteil s’est particulièrement modifié, au prix, il est vrai, de la perte de toute aptitude à la préhension. Le principe de la division du travail physiologique, qui prévaut dans le règne animal, veut que, à mesure que les mains se sont perfectionnées pour la préhension, les pieds se soient perfectionnés aussi dans le sens de la stabilité et de la locomotion. Chez quelques sauvages cependant, le pied n’a pas entièrement perdu son pouvoir préhensile, comme le prouve leur manière de grimper sur les arbres et de s’en servir de diverses autres manières[1].

Or, s’il est avantageux pour l’homme d’avoir les mains et les bras libres, et de pouvoir se tenir solidement sur les pieds, et son succès dans la lutte pour l’existence ne permet pas d’en douter, je ne vois aucune raison pour laquelle il n’aurait pas été également avantageux à ses ancêtres de se redresser toujours davantage, et de devenir bipèdes. Ce nouvel état leur permettait de mieux se défendre avec des pierres ou des massues, d’attaquer plus facilement leur proie, ou de se procurer autrement leurs aliments. Les individus les mieux construits ont dû, à la longue, le mieux réussir, et survivre en plus grand nombre. Si le gorille et quelques espèces voisines s’étaient éteintes, on aurait pu opposer l’argument assez fort et assez vrai en apparence, qu’un animal ne peut passer graduellement de l’état de quadrupède à celui de bipède ; car tous les individus se trouvant dans l’état intermédiaire auraient été très mal appropriés à tout genre de locomotion. Mais nous savons (et cela mérite réflexion) que les anthropomorphes se trouvent actuellement dans cette condition intermédiaire, sans qu’on puisse contester que, dans l’ensemble, ils soient bien adaptés à leur mode d’existence. Ainsi le gorille court avec une allure oblique et lourde, mais plus habituellement il marche en s’appuyant sur ses doigts fléchis. Les singes à longs bras s’en servent quelquefois comme de béquilles, et, en se balançant sur eux, se projettent en avant ; quel-

  1. Dans sa Natürliche Schöpfungsgeschichte, 1868, p. 507, Häckel discute, avec beaucoup d’habileté, les moyens par lesquels l’homme est devenu bipède. Dans ses Conférences sur la théorie darwinienne, 1869, p. 135, Büchner cite des cas de l’usage du pied par l’homme comme organe préhensile, et aussi sur le mode de progression des singes supérieurs dont je parle dans le paragraphe suivant. Voir encore, sur ce dernier point, Owen, Anatomy of Vertebrates, vol. III, p. 71.