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On a souvent objecté aux théories que nous venons d’exposer, que l’homme est une des créatures le plus hors d’état de pourvoir à ses besoins, le moins apte à se défendre, qu’il y ait dans le monde ; et que cette incapacité de subvenir à ses besoins devait être plus grande encore pendant la période primitive, alors qu’il était moins bien développé. Le duc d’Argyll[1], par exemple, insiste sur ce point que « la conformation humaine s’est éloignée de celle de la brute, dans le sens d’un plus grand affaiblissement physique et d’une plus grande impuissance. C’est-à-dire qu’il s’est produit une divergence que, moins que toute autre, on peut attribuer à la simple sélection naturelle. » Il invoque l’état nu du corps, l’absence de grandes dents ou de griffes propres à la défense, le peu de force qu’a l’homme, sa faible rapidité à la course, l’insuffisance de son odorat, insuffisance telle qu’il ne peut se servir de ce sens, ni pour trouver ses aliments ni pour éviter le danger. On pourrait encore ajouter à ces imperfections son inaptitude à grimper rapidement sur les arbres pour échapper à ses ennemis. Quand on voit les Fuégiens résister sans vêtements à leur affreux climat, on comprend que la perte des poils n’ait pas été très nuisible à l’homme primitif, surtout s’il habitait un pays chaud. Lorsque nous comparons l’homme sans défense aux singes qui, pour la plupart, possèdent de formidables canines, nous devons nous rappeler que ces dents n’atteignent leur développement complet que chez les mâles seuls, et leur servent principalement pour lutter avec leurs rivaux, les femelles qui en sont privées n’en subsistant pas moins.

Quant à la force et à la taille, nous ne savons si l’homme descend de quelque petite espèce, comme le chimpanzé, ou d’une espèce aussi puissante que le gorille ; nous ne saurions donc dire si l’homme est devenu plus grand et plus fort, ou plus petit et plus faible que ne l’étaient ses ancêtres. Toutefois nous devons songer qu’il est peu probable qu’un animal de grande taille, fort et féroce, et pouvant, comme le gorille, se défendre contre tous ses ennemis, puisse devenir un animal sociable ; or ce défaut de sociabilité aurait certainement entravé chez l’homme le développement de ses qualités mentales d’ordre élevé, telle que la sympathie et l’affection pour ses semblables. Il y aurait donc eu, sous ce rapport, un immense avantage pour l’homme à devoir son origine à un être comparativement plus faible.

Le peu de force corporelle de l’homme, son peu de rapidité de locomotion, sa privation d’armes naturelles, etc., sont plus que

  1. Primeval Man, 1869, p. 66.