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SERPENTS

herbes sèches et les broussailles, produit un cliquetis qui s’entend distinctement à 6 pieds de distance. Dès que l’animal est effrayé ou irrité, il agite sa queue et les vibrations deviennent extrêmement rapides ; aussi longtemps même que le corps conserve son irritabilité après la mort de l’animal, on peut observer une tendance à ce mouvement habituel. Ce trigonocéphale a donc, sous quelques rapports, la conformation d’une vipère avec les habitudes d’un serpent à sonnettes ; seulement le bruit est produit par un procédé plus simple. La face de ce serpent a une expression féroce et hideuse au delà de toute expression. La pupille consiste en une fente verticale dans un iris marbré et couleur de cuivre ; les mâchoires sont larges à la base, et le nez se termine par une projection triangulaire. Je ne crois pas avoir jamais vu rien de plus laid, sauf peut-être quelques vampires. Je pense que cet aspect si repoussant provient de ce que les traits se trouvent placés, l’un par rapport à l’autre, à peu près dans la même position que ceux de la figure humaine, ce qui produit le comble du hideux[1].

Parmi les batraciens, je remarquai un petit crapaud (Phryniscus nigricans) fort singulier en raison de sa couleur. On se fera une excellente idée de son aspect, si on suppose qu’on l’a d’abord trempé dans de l’encre extrêmement noire, puis, quand il a été sec, qu’on lui a permis de se traîner sur une planche fraîchement peinte avec du vermillon brillant, de façon à ce que cette couleur s’attache à la plante de ses pieds et à quelques parties de son estomac. Si cette espèce n’avait pas encore été nommée, elle aurait certainement mérité le nom de diabolicus, car c’est un crapaud digne de causer avec Ève. Au lieu d’avoir des habitudes nocturnes, au lieu de vivre dans des trous sombres et humides, comme presque tous les autres crapauds, il se traîne, pendant les plus grandes chaleurs du jour, sur les monticules de sable et dans les plaines arides où il n’y a pas une goutte d’eau. Il doit nécessairement compter sur la rosée pour se procurer l’humidité dont il a besoin, humidité qu’il absorbe probablement par la peau, car on sait que ces reptiles ont une grande faculté d’absorption cutanée. J’en ai trouvé un à Maldonado, dans un endroit presque aussi sec que les environs de Bahia Blanca ; pensant lui faire grand plaisir, je l’emportai et le jetai dans une mare ; or non-seulement ce petit ani-

  1. Ce serpent est une nouvelle espèce de Trigonocephalus, que M. Bibron propose d’appeler T. crepilans.