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DE BAHIA BLANCA A BUENOS AYRES.

18 septembre. — Nous avons fait une longue étape aujourd’hui. À la douzième posta, à 7 lieues au sud du rio Salado, nous trouvons la première estancia avec des bestiaux et des femmes blanches. Nous avons ensuite à traverser plusieurs milles de pays inondé ; l’eau monte jusqu’au-dessus des genoux de nos chevaux. En croisant les étriers et en montant à la manière des Arabes, c’est-à-dire les jambes repliées et les genoux très-élevés, nous parvenons à ne pas trop nous mouiller. Il fait presque nuit quand nous arrivons au Salado. Ce fleuve est profond et a environ 40 mètres de largeur ; en été il se dessèche presque complètement, et le peu d’eau qui y reste encore devient aussi salée que celle de la mer. Nous couchons dans une des grandes estancias du général Rosas. Elle est fortifiée et elle a une importance telle, qu’en arrivant la nuit je la prends pour une ville et sa forteresse. Le lendemain, nous voyons d’immenses troupeaux de bestiaux ; le général possède ici 74 lieues carrées de terrains. Anciennement, il employait près de trois cents hommes dans cette propriété, et ils étaient disciplinés de façon à défier toutes les attaques des Indiens.

19 septembre. — Nous traversons Guardia del Monte. C’est une jolie petite ville un peu clair-semée, avec de nombreux jardins plantés de pêchers et de cognassiers. La plaine ressemble absolument à celle qui entoure Buenos Ayres. Le gazon est court et d’un beau vert ; il est entrecoupé de champs de trèfle et de chardons ; on remarque aussi de nombreux terriers de viscache. Dès qu’on a traversé le Salado, le pays change entièrement d’aspect ; jusqu’alors nous n’étions entourés que d’herbages grossiers, nous voyageons actuellement sur un beau tapis vert. Je crois, d’abord, devoir attribuer ce changement à une modification dans la nature du sol ; mais les habitants m’affirment qu’ici, aussi bien que dans le Banda oriental, où l’on remarque une aussi grande différence entre le pays qui entoure Montevideo et les savanes si peu habitées de Colonia, il faut attribuer ce changement à la présence des bestiaux. On a observé exactement le même fait dans les prairies de l’Amérique du Nord[1], où des herbes communes et grossières, atteignant 5 ou 6 pieds de hauteur, se transforment en gazon dès qu’on y introduit des bestiaux en quantité suffisante. Je ne suis pas assez botaniste pour prétendre dire si la transformation provient de l’introduc-

  1. Voir la description des prairies par M. Atwater, dans Silliman N. A. Journal, vol. I. p. 117.