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ZOOLOGIE DE L’AMÉRIQUE.

presque infranchissable, nous aurons les deux provinces zoologiques de l’Amérique qui contrastent si vivement l’une avec l’autre. Quelques espèces seules ont franchi la barrière et on peut les considérer comme des émigrants du Sud, tels que le Puma, l’Opossum, le Kinkajou et le Pecari. L’Amérique méridionale possède plusieurs rongeurs particuliers, une famille de singes, le Lama, le Pecari, le Tapir, l’Opossum et surtout plusieurs genres d’Edentés, ordre qui comprend les Paresseux, les Fourmiliers et les Tatous. L’Amérique septentrionale possède aussi de nombreux rongeurs particuliers (en laissant, bien entendu, de côté quelques espèces errantes), quatre genres de ruminants à cornes creuses (le Bœuf, le Mouton, la Chèvre et l’Antilope), groupe dont l’Amérique méridionale ne possède pas une seule espèce. Autrefois, mais pendant la période où vivaient la plupart des coquillages actuellement existants, l’Amérique septentrionale possédait, outre les ruminants à cornes creuses, l’Eléphant, le Mastodonte, le Cheval et trois genres d’Edentés, c’est-à-dire le Mégathérium, le Mégalonyx et le Mylodon. Pendant la même période ou à peu près, comme le prouvent les coquillages de Bahia Blanca, l’Amérique méridionale possédait, nous venons de le voir, un mastodonte, le cheval, un ruminant à cornes creuses, et les trois mêmes genres d’édentés, outre plusieurs autres. D’où il appert que l’Amérique septentrionale et l’Amérique méridionale, possédant à une époque géologique récente ces divers genres en commun, se ressemblaient beaucoup plus alors qu’aujourd’hui par le caractère de leurs habitants terrestres. Plus je réfléchis à ce fait, plus il me semble intéressant. Je ne connais aucun autre cas où nous puissions aussi bien indiquer, pour ainsi dire, l’époque et le mode de division d’une grande région en deux provinces zoologiques bien caractérisées. Le géologue se rappelant les immenses oscillations de niveau qui ont affecté la croûte terrestre, pendant les dernières périodes, ne craindra pas d’indiquer le soulèvement récent du plateau mexicain, ou, plus probablement, l’affaissement récent des terres dans l’archipel des Indes occidentales, comme la cause de la séparation zoologique actuelle des deux Amériques. Le caractère sud-américain des mammifères[1] des Indes occidentales semble indiquer que cet archipel faisait anciennement partie du continent méridional et qu’il est

  1. Voir Dr Richardson, Report, p. 157; l’Institut, 1837, p. 235. Cuvier dit que l’on trouve le kinkajou dans les plus grandes Antilles, mais cela est douteux.