Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
PATAGONIE.

par leurs habitudes, l’une soit fort rare et l’autre fort abondante dans la même région ; ou bien encore qu’une espèce soit abondante dans une région et qu’une autre, occupant la même position dans l’économie de la nature, soit abondante dans une région voisine qui diffère fort peu par ses conditions générales. Si on demande la cause de ces modifications, on répond immédiatement qu’elles proviennent de quelques légères différences dans le climat, dans la nourriture ou dans le nombre des ennemis. Mais nous ne pouvons que bien rarement, en admettant même que nous le puissions quelquefois, indiquer la cause précise et le mode d’action du frein ! Nous nous trouvons donc obligés de conclure que des causes qui échappent ordinairement à nos moyens d’appréciation déterminent l’abondance ou la rareté d’une espèce quelconque.

Dans les cas où nous pouvons attribuer l’extinction d’une espèce à l’homme, soit entièrement, soit dans une région déterminée, nous savons que cette espèce devient de plus en plus rare avant de disparaître tout à fait. Or, il serait difficile d’indiquer une différence sensible dans le mode de disparition d’une espèce, que cette disparition soit causée par l’homme ou qu’elle le soit par l’augmentation de ses ennemis naturels[1]. La preuve que la rareté précède l’extinction se remarque d’une manière frappante dans les couches tertiaires successives, ainsi que l’ont fait remarquer plusieurs observateurs habiles. On a souvent trouvé, en effet, qu’un coquillage très-commun dans une couche tertiaire est aujourd’hui très-rare, si rare même, qu’on l’a cru éteint depuis longtemps. Si donc, comme cela paraît probable, les espèces deviennent d’abord fort rares, puis finissent par s’éteindre — si l’augmentation trop rapide de chaque espèce, même les plus favorisées, se trouve arrêtée, comme nous devons l’admettre, bien qu’il soit difficile de dire quand et comment — et si nous voyons, sans en éprouver la moindre surprise, bien que nous ne puissions pas en indiquer la cause précise, une espèce fort abondante dans une région, tandis qu’une autre espèce intimement alliée à celle-là est rare dans la même région — pourquoi ressentir tant d’étonnement à ce que la rareté, allant un peu plus loin, en arrive à l’extinction ? Une action qui se passe tout autour de nous sans qu’elle soit bien appréciable, peut, sans contredit, devenir un peu plus intense sans exciter notre attention. Qui donc

  1. Voir dans les Principles of Geology les excellentes remarques de M. Lyell à ce sujet.