Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
LES ILES FALKLAND.

traversé ce qui nous a coûté cinq jours et demi de travail pénible quand nous remontions le fleuve. Le 8, nous nous retrouvons à bord du Beagle après vingt et un jours d’expédition. Tous mes compagnons éprouvent un vif désappointement ; quant à moi, j’ai tout lieu de me féliciter de ce voyage, car il m’a permis d’observer une section fort intéressante de la grande formation tertiaire de la Patagonie.


Le 1er mars 1833 et le 16 mars 1834, le Beagle jette l’ancre dans le détroit de Berkeley, dans l’île Falkland orientale. Cet archipel est situé à peu près sous la même latitude que l’embouchure du détroit de Magellan ; il couvre un espace de 120 milles géographiques sur 60, il est donc la moitié à peu près aussi grand que la moitié de l’Irlande. La France, l’Espagne et l’Angleterre se sont longtemps disputé la possession de ces misérables îles ; puis, elles sont restées inhabitées. Le gouvernement de Buenos Ayres les a alors vendues à un particulier, tout en se réservant le droit d’y transporter ses criminels, comme l’avait fait anciennement l’Espagne. L’Angleterre fit un beau jour valoir ses droits et s’en empara. L’Anglais qu’on y avait laissé à la garde du drapeau fut assassiné. On y renvoya un officier anglais, mais sans le faire accompagner de forces suffisantes. À notre arrivée, nous le trouvons à la tête d’une population dont la moitié au moins se compose de rebelles et d’assassins.

Le théâtre est d’ailleurs bien digne des scènes qui s’y passent. C’est une terre ondulée, à l’aspect désolé et triste, partout recouverte de véritables tourbières et d’herbages grossiers ; partout la même couleur brune monotone. Çà et là un pic ou une chaîne de roches grises quartzeuses accidentent la surface. Tout le monde a entendu parler du climat de ces régions ; on peut le comparer à celui qu’on trouve entre 1000 et 2000 pieds de hauteur sur les montagnes du nord du pays de Galles ; il n’y fait cependant ni si chaud ni si froid, mais il y a beaucoup plus de pluie et beaucoup plus de vent[1].

16 mars. — Voici, en quelques mots, le récit d’une courte excur-

  1. D’après des observations publiées depuis notre voyage, et plus particulièrement d’après plusieurs lettres intéressantes du capitaine Sulivan, qui s’est occupé de faire la triangulation de ces îles, il paraît que j’exagère un peu leur mauvais climat. Cependant, quand je pense qu’elles sont presque entièrement recouvertes de tourbe et que le blé n’y mûrit presque jamais, il me semble difficile de croire que le climat, en été, soit aussi sec et aussi beau qu’on l’a prétendu dernièrement.