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LA TERRE DE FEU.

demi-mille devant nous, tout en désirant en voir tomber quelques fragments. Tout à coup une masse se détacha avec un bruit terrible, et nous vîmes immédiatement une vague énorme se diriger vers nous. Les matelots s’élancèrent vers les embarcations, car il était évident qu’elles couraient grand risque d’être mises en pièces. Un de nos hommes put saisir l’avant des bateaux au moment où la vague venait se briser sur eux ; il fut renversé et roulé par la vague, mais ne fut pas blessé ; les bateaux talonnèrent trois fois sans éprouver aucune avarie. Ce fut très-heureux pour nous, car nous nous trouvions à 100 milles (161 kilomètres) du Beagle, et nous serions restés sans provisions ni armes à feu. J’avais observé précédemment que quelques gros fragments de rochers avaient été récemment déplacés, mais je n’ai pu m’expliquer ce déplacement qu’après avoir vu cette vague. Un des côtés de la crique où nous nous trouvions était formé par un éperon de micaschiste ; le fond, par une falaise de glace ayant environ 40 pieds de haut ; et l’autre côté, par un promontoire de 50 pieds de haut, promontoire composé d’immenses fragments roulés de granit et de micaschiste, sur lequel croissaient de vieux arbres. Ce promontoire était évidemment une moraine entassée à une époque où le glacier avait des dimensions plus considérables.

Arrivés à l’embouchure occidentale du bras septentrional du canal du Beagle, nous naviguons par un temps horrible au milieu de plusieurs îles inconnues et toutes désertes ; nous ne rencontrons, en effet, aucun indigène. La côte est presque partout si escarpée qu’il nous faut faire bien des milles avant de trouver un espace assez grand pour planter nos deux tentes ; il nous faut même une fois passer la nuit sur un bloc de rocher entouré de plantes marines en putréfaction, et à la marée haute nous sommes obligés de transporter nos couvertures sur un endroit plus élevé, car l’eau nous gagne. Le point extrême de notre voyage vers l’ouest est l’île Stewart, et nous nous trouvons alors à environ 150 milles (240 kilomètres) du Beagle. Pour revenir, nous suivons le bras méridional du canal et nous arrivons sans accident au détroit de Ponsonby.

6 février. — Nous arrivons à Woollya. Matthews se plaint si vivement de la conduite des Fuégiens que le capitaine Fitz-Roy se décide à le ramener à bord du Beagle ; plus tard nous l’avons laissé à la Nouvelle-Zélande, où son frère était missionnaire. Dès le moment de notre départ, les indigènes avaient commencé à le dépouil-