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LA TERRE DE FEU.

avoir avec eux quelques Européens, et la vieille Maria, une des femmes les plus influentes de la tribu, pria une fois M. Low de permettre à un de ses matelots de rester avec eux. Ils passent ici la plus grande partie de l’année ; cependant, en été, ils vont chasser au pied de la Cordillère, et quelquefois ils remontent vers le nord jusqu’au rio Negro, qui se trouve à une distance de 750 milles (1200 kilomètres). Ils possèdent un grand nombre de chevaux ; chaque homme, selon M. Low, en a cinq ou six, et même toutes les femmes et tous les enfants possèdent chacun le sien. Au temps de Sarmiento (1580), ces Indiens étaient armés d’arcs et de flèches, qui ont depuis longtemps disparu ; ils possédaient alors aussi quelques chevaux. C’est là un fait curieux, qui prouve avec quelle rapidité les chevaux se sont multipliés dans l’Amérique du Sud. On débarqua les premiers chevaux à Buenos Ayres en 1537 ; cette colonie fut abandonnée pendant quelque temps et les chevaux reprirent la vie sauvage[1] ; et en 1580, seulement quarante-trois ans après, on les trouve déjà sur les côtes du détroit de Magellan ! M. Low m’apprend qu’une tribu voisine d’Indiens, qui, jusqu’à présent, n’a pas employé le cheval, commence à connaître cet animal et à l’apprécier ; la tribu qui habite les environs de la baie de Gregory lui donne ses vieux chevaux et envoie, chaque hiver, quelques-uns de ses hommes les plus habiles pour les aider dans leurs chasses.

1er Juin. — Nous jetons l’ancre dans la baie magnifique où se trouve Port-Famine. C’est le commencement de l’hiver et jamais je n’ai vu paysage plus triste et plus sombre. Les forêts, au feuillage si foncé qu’elles paraissent presque noires, à moitié blanchies par la neige qui les recouvre, n’apparaissent qu’indistinctes à travers une atmosphère brumeuse et froide. Fort heureusement pour nous il fait un temps magnifique deux jours de suite. Un de ces jours-là, le mont Sarmiento, montagne assez éloignée et s’élevant à 6800 pieds, présente un magnifique spectacle. Une des choses qui m’ont le plus surpris à la Terre de Feu, c’est la petite élévation apparente de montagnes qui sont réellement fort élevées. Je crois que cette illusion provient d’une cause que l’on ne soupçonnerait pas tout d’abord, c’est-à-dire que la masse entière, du bord de l’eau au sommet, se présente à la vue. Je me rappelle avoir vu une montagne sur les bords du canal du Beagle ; en cet endroit, la vue embrassait d’un seul coup d’œil la

  1. Rengger. Natur. der Säugethiere von Paraguay, s. 334.