Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
276
CHILI CENTRAL.

peine, et au delà. Le soir, nous atteignons une source appelée l’agua del Guanaco, source située à une grande hauteur. Le nom de cette source doit être fort ancien, car il y a bien des années qu’un Guanaco n’est venu se désaltérer à ses eaux. Pendant l’ascension, je remarque que sur le versant septentrional il ne pousse que des buissons, tandis que le versant méridional est couvert d’un bambou qui atteint environ 15 pieds de hauteur. Dans quelques endroits on rencontre des palmiers, et je suis tout étonné d’en trouver un à 4500 pieds de hauteur (1350 mètres). Par rapport à la famille à laquelle ils appartiennent, ces palmiers sont de très-vilains arbres. Leur tronc fort gros affecte une forme curieuse : il est plus gros vers le centre qu’à la base et au sommet. Dans quelques parties du Chili, on les trouve en nombre considérable et ils sont très-précieux, à cause d’une sorte de mélasse qu’on tire de leur sève. Dans une propriété auprès de Petorca on a essayé de les compter, mais on y a renoncé après être arrivé au chiffre de plusieurs centaines de mille. Tous les ans, au commencement du printemps, au mois d’août, on en coupe un grand nombre, et, quand le tronc est étendu à terre, on enlève les feuilles qui le couronnent. La sève se met alors à couler de l’extrémité supérieure ; elle coule ainsi pendant des mois entiers, mais à condition d’enlever chaque matin une nouvelle tranche du tronc, de façon à exposer une nouvelle surface à l’action de l’air. Un bon arbre produit 90 gallons (410 litres) ; le tronc du palmier, qui paraît si sec, devait donc évidemment contenir cette quantité de sève. On dit que la sève s’écoule d’autant plus vite que le soleil est plus chaud ; on dit aussi qu’il faut avoir grand soin, en coupant l’arbre, de le faire tomber de façon à ce que le sommet soit plus élevé que la base, car, dans le cas contraire, la sève ne s’écoule pas ; on aurait pu penser cependant que, dans ce dernier cas, la gravitation aurait dû aider à l’écoulement. On concentre cette sève en la faisant bouillir et on lui donne alors le nom de mélasse, substance à laquelle elle ressemble beaucoup par le goût.

Nous arrêtons nos chevaux auprès de la source et nous faisons nos préparatifs pour passer la nuit. La soirée est admirable, l’atmosphère si claire, que nous pouvons distinguer comme de petites raies noires les mâts des vaisseaux à l’ancre dans la baie de Valparaiso, bien que nous en soyons éloignés de 26 milles géographiques au moins.

Un bâtiment qui double la pointe de la baie toutes voiles dehors nous apparaît comme un brillant point blanc. Anson s’étonne beaucoup, dans son Voyage, qu’on ait aperçu ses vaisseaux à une aussi