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CHILOÉ.

crié pour rien : Prenez garde ! » Bientôt ils nous demandèrent à faire des échanges. Pour eux, l’argent avait peu ou pas de valeur, mais ils désiraient par-dessus tout se procurer du tabac. Après le tabac, l’indigo avait à leurs yeux le plus de valeur, puis le capsicum, les vieux habits et la poudre. Ils désirent se procurer ce dernier article dans un but bien innocent : chaque paroisse possède un fusil public et ils ont besoin de poudre pour tirer des salves le jour de la fête de leur saint patron et les jours de grande fête.

Les habitants de l’île Lemuy se nourrissent principalement de coquillages et de pommes de terre. À certaines époques ils attrapent dans les corrales ou haies recouvertes par la marée haute des poissons qu’elle y a laissés en se retirant. Ils possèdent aussi des poulets, des moutons, des chèvres, des cochons, des chevaux et des bestiaux ; l’ordre dans lequel j’énumère ces animaux indique leur nombre proportionnel. Je n’ai jamais rencontré peuple plus obligeant et plus modeste. Ils commencent par vous dire qu’ils ne sont pas Espagnols, mais de malheureux indigènes et qu’ils ont terriblement besoin de tabac et de quelques autres articles. À Caylen, la plus méridionale de ces îles, les matelots échangeront un rouleau de tabac valant à peine 3 sous pour deux poulets, dont l’un, dit l’Indien, a une peau entre les doigts et qui se trouva être un beau canard ; en échange de quelques mouchoirs de coton qui ne valaient certainement pas plus de 3 à 4 francs, nous nous procurâmes trois moutons et un gros paquet d’oignons. En cet endroit, la yole se trouvait à une assez grande distance du rivage et nous n’étions pas sans craindre que des voleurs ne tentassent de s’en emparer pendant la nuit. Notre pilote, M. Douglas, prévint donc le gouverneur du district que nous placions toujours des sentinelles pendant la nuit, que ces sentinelles portaient des armes chargées, qu’elles ne comprenaient pas un mot d’espagnol et que, par conséquent, on tirerait sur quiconque s’approcherait. Le gouverneur répondit, en faisant mille humbles protestations, que nous avions parfaitement raison, et il nous promit qu’aucun de ses administrés ne bougerait de chez lui pendant la nuit.

Pendant les quatre jours suivants, nous continuons notre route vers le sud. Le caractère général du pays reste le même, mais la population devient de plus en plus clair-semée. Sur la grande île de Tanqui, c’est à peine si l’on trouve un champ défriché, de tous côtés les branches des arbres pendent jusque dans la mer. Je remarquai un jour sur une falaise de grès quelques beaux plants