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ORNITHOLOGIE.

de côté et d’autre comme un insecte et fait entendre son cri aigu ; enfin, du haut de quelque arbre élevé tombe la note indistincte et plaintive du gobe-mouches à huppe blanche (Myiobuis). La grande prépondérance, dans la plupart des pays, de certains genres communs d’oiseaux, tels que les moineaux par exemple, fait tout d’abord éprouver quelque surprise quand on s’aperçoit que les espèces dont je viens de parler sont les oiseaux les plus communs d’une région. On trouve, très-rarement il est vrai, deux de ces espèces : l’Oxyurus et le Scytalopus, dans le Chili central. Quand on trouve, comme dans ce cas, des animaux qui semblent jouer un rôle si insignifiant dans le grand plan de la nature, on est tout porté à se demander dans quel but ils ont été créés. Mais il faut toujours se rappeler que ce sont peut-être là, dans d’autres régions, des membres essentiels de la société, ou qu’ils ont pu jouer un rôle important à d’autres époques. Si l’Amérique, au sud du 37e degré de latitude sud, venait à disparaître sous les eaux de l’Océan, ces deux oiseaux pourraient continuer à exister pendant longtemps dans le Chili central, mais il est fort improbable que leur nombre puisse s’accroître. Nous aurions alors un exemple de ce qui a dû inévitablement arriver pour beaucoup d’animaux.

Plusieurs espèces de Pétrels fréquentent ces mers méridionales ; l’espèce la plus grande, Procellaria gigantea (le Quebrantahuesos, ou casseur d’os, des Espagnols), se rencontre constamment et dans les bras de mer qui séparent les différentes îles et en pleine mer. Il ressemble beaucoup à l’albatros et par ses habitudes et par sa manière de voler ; de même que l’albatros, on peut le surveiller pendant des heures sans arriver à savoir de quoi il se nourrit. Ce pétrel est cependant un oiseau vorace, car quelques officiers en observèrent un, au port Saint-Antonio, qui poursuivait un plongeon ; ce dernier essaya de s’échapper en plongeant et en fuyant, mais à chaque instant le pétrel se précipitait sur lui et il finit par le tuer d’un coup de bec sur la tête. Au port Saint-Julian, on a vu ces grands pétrels tuer et dévorer de jeunes mouettes. Une seconde espèce (Puffinus cinereus), qui se rencontre en Europe, au cap Horn et sur la côte du Pérou, est beaucoup plus petite que le Procellaria gigantea, mais elle est, comme lui, noir sale. Cet oiseau se réunit par troupes et fréquente les détroits ; je ne crois pas avoir jamais vu troupe plus considérable d’oiseaux qu’une bande de ces pétrels derrière l’île de Chiloé. Des centaines de mille volèrent pendant plusieurs heures dans une même direction, formant une ligne