Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/353

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
337
POLITESSE DES HABITANTS.

quelles on peut se rendre à Mendoza. On prend ordinairement la passe d’Aconcagua ou Uspallata, située un peu plus au nord ; l’autre passe, appelée le Portillo, se trouve un peu plus au sud et plus près de Santiago, mais cette passe est plus élevée et plus dangereuse.

18 mars. — Nous nous décidons à traverser la passe de Portillo. En quittant Santiago, nous parcourons l’immense plaine brûlée par le soleil où se trouve cette ville, et, dans l’après-midi, nous atteignons le Maypu, un des principaux fleuves du Chili. La vallée, à l’endroit où elle pénètre dans la Cordillère, est bornée de chaque côté par de hautes montagnes dénudées ; bien que fort peu large, elle est très-fertile. On rencontre à chaque instant des cottages entourés de vignes, de pommiers et de pêchers dont les branches ploient sous le poids de magnifiques fruits mûrs. Dans la soirée, nous arrivons à la douane, où on examine nos bagages ; la frontière du Chili est encore mieux défendue par la Cordillère qu’elle ne peut l’être par les eaux de l’Océan. Très-peu de vallées s’étendent jusqu’à la chaîne centrale, et les bêtes de somme ne peuvent suivre aucun autre chemin. Les douaniers se montrent fort polis ; cette politesse venait peut-être du passeport que m’avait donné le président de la République ; mais, puisque j’en suis sur ce sujet, je tiens à exprimer mon admiration pour la politesse naturelle de presque tous les Chiliens. Dans ce cas particulier des douaniers, elle offrait un frappant contraste avec ce qu’on trouve chez les mêmes hommes dans presque tous les pays du monde. Je me rappelle un fait qui me frappa beaucoup au moment où il arriva : nous rencontrâmes, près de Mendoza, une petite négresse fort grasse montée sur une mule. Cette femme avait un goître si énorme, qu’on ne pouvait s’empêcher de la dévisager pendant quelques instants ; mes deux compagnons, pour s’excuser sans doute de ces regards impolis, la saluèrent, comme on fait ordinairement dans le pays, en retirant leur chapeau. Où donc en Europe aurait-on trouvé, même dans les plus hautes classes, de tels égards pour une malheureuse créature appartenant à une race dégradée ?

Nous passons la nuit dans un cottage. Nous étions parfaitement indépendants, ce qui est délicieux en voyage. Dans les régions habitées, nous achetions un peu de bois pour faire du feu, nous louions un champ pour y faire paître nos bêtes de somme et nous établissions notre bivouac dans un coin du même champ. Nous nous étions munis d’une marmite en fer ; aussi faisions-nous cuire