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LE PORTILLO.

dans ces vallées. Leur lit a une pente considérable et leurs eaux affectent la couleur de la boue. Le Maypu poursuit sa course furieuse sur de gros fragments arrondis en faisant entendre un rugissement semblable à celui de la mer. Au milieu du fracas des eaux qui se brisent on saisit distinctement, même à une grande distance, le bruit des pierres qui se heurtent les unes contre les autres, et cela nuit et jour et sur tout le parcours du torrent. Quelle éloquence pour le géologue que ce bruit triste et uniforme de milliers et de milliers de pierres se heurtant les unes contre les autres et se précipitant toutes dans la même direction ! Malgré soi, ce spectacle vous fait penser au temps, on se dit que la minute qui vient de s’écouler est perdue à jamais ! L’Océan, n’est-ce pas l’éternité pour ces pierres, et chaque note de cette musique sauvage n’est-elle pas le signe que chacune d’elles a fait un pas vers sa destinée ?

L’esprit s’accoutume bien difficilement à comprendre tous les effets d’une cause qui se reproduit si souvent, si incessamment. Chaque fois que j’ai vu des couches de boue, de sable et de galets atteignant une épaisseur de plusieurs milliers de pieds, ma première impression a été de m’extasier sur l’impuissance de nos fleuves actuels à produire de tels effets de dénudation et d’accumulation. Puis, en écoutant le bruit de ces torrents, en me rappelant que des races entières d’animaux ont disparu de la surface de la terre et que pendant tout ce laps de temps, nuit et jour, ces pierres se sont heurtées, se sont brisées les unes contre les autres, je me suis pris à me demander comment il se fait que des montagnes, que des continents mêmes, aient pu résister à cet engin destructeur ?

Les montagnes qui bordent cette partie de la vallée ont de 3 000 à 6 000 et même 8 000 pieds de hauteur ; elles sont arrondies et leurs flancs absolument nus. Partout le roc est rougeâtre et les couches sont parfaitement distinctes. On ne peut dire que le paysage soit beau ; mais il est grand et sévère. Nous rencontrons plusieurs troupeaux de bestiaux que des hommes ramènent des vallées les plus élevées de la Cordillère. Ce signe de l’hiver qui approche nous fait avancer plus vite peut-être qu’il ne convient à un géologue. La maison où nous passons la nuit est située au pied d’une montagne au sommet de laquelle se trouvent les mines de S. Pedro de Nolasko. Sir F. Head se demande avec étonnement comment il se fait qu’on ait été découvrir des mines dans une situation aussi extraordinaire que l’aride sommet de la montagne de S. Pedro de Nolasko. En premier lieu, les veines métalliques,