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RIO DE JANEIRO.

abonde en objets admirables au milieu desquels je ne puis me lasser d’admirer les fougères arborescentes, peu élevées, mais au feuillage si vert, si gracieux et si élégant. Dans la soirée, la pluie tombe à torrents et j’ai froid, bien que le thermomètre marque 63 degrés Fahrenheit (18°,3 centigrades). Dès que la pluie a cessé, j’assiste à un curieux spectacle : l’énorme évaporation qui se produit sur toute l’étendue de la forêt. Une épaisse vapeur blanche enveloppe alors les collines jusqu’à une hauteur de 100 pieds environ ; ces vapeurs s’élèvent, comme des colonnes de fumée, au-dessus des parties les plus épaisses de la forêt, et principalement au-dessus des vallées. Je pus observer plusieurs fois ce phénomène, dû, je crois, à l’immense surface de feuillage précédemment échauffée par les rayons du soleil.

Pendant mon séjour dans cette propriété, je fus sur le point d’assister à un de ces actes atroces qui ne peuvent se présenter que dans un pays où règne l’esclavage. À la suite d’une querelle et d’un procès, le propriétaire fut sur le point d’enlever aux esclaves mâles leurs femmes et leurs enfants pour aller les vendre aux enchères publiques à Rio. Ce fut l’intérêt, et non pas un sentiment de compassion, qui empêcha la perpétration de cet acte infâme. Je ne crois même pas que le propriétaire ait jamais pensé qu’il pouvait y avoir quelque inhumanité à séparer ainsi trente familles qui vivaient ensemble depuis de nombreuses années, et cependant, je l’affirme, son humanité et sa bonté le rendaient supérieur à bien des hommes. Mais on peut ajouter, je crois, qu’il n’y a pas de limites à l’aveuglement que produisent l’intérêt et l’égoïsme. Je vais rapporter une anecdote bien insignifiante qui me frappa plus qu’aucun des traits de cruauté que j’ai entendu raconter. Je traversais un bac avec un nègre plus que stupide. Pour arriver à me faire comprendre, je parlais haut et je lui faisais des signes ; ce faisant, une de mes mains passa près de sa figure. Il crut, je pense, que j’étais en colère et que j’allais le frapper, car il abaissa immédiatement les mains et ferma à demi les yeux en me lançant un regard craintif. Je n’oublierai jamais les sentiments de surprise, de dégoût et de honte qui s’emparèrent de moi à la vue de cet homme effrayé à l’idée de parer un coup qu’il croyait dirigé contre sa figure. On avait amené cet homme à une dégradation plus grande que celle du plus infime de nos animaux domestiques.

18 avril. — À notre retour, nous passons à Socêgo deux jours que j’emploie à collectionner des insectes dans la forêt. La plupart des