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LES TAITIENS.

d’un objet ajoute au plaisir que l’on a à le regarder ; cependant, quand il s’agit de ces beaux arbres, il est certain que la connaissance que l’on a de leur utilité double l’admiration. Des sentiers, serpentant au milieu des ombrages, conduisent à des maisons éparses çà et là ; partout nous sommes reçus avec la plus aimable hospitalité.

Les habitants de Taïti sont réellement charmants. Leurs traits ont une si grande douceur d’expression, qu’on ne peut s’imaginer que ce sont des sauvages ; leur intelligence est telle, qu’ils font des progrès rapides dans la civilisation. Les travailleurs restent nus jusqu’à la ceinture ; c’est alors que l’on peut le mieux admirer les Taïtiens. Ils sont grands, bien proportionnés, ils ont les épaules larges ; ce sont, en somme, de véritables athlètes. Je ne sais qui a remarqué que l’Européen s’habitue facilement au spectacle des peaux foncées et que cette peau lui paraît alors tout aussi agréable, tout aussi naturelle que sa propre couleur blanche. Un homme blanc qui se baigne à côté d’un Taïtien ressemble absolument à une plante qu’on a fait blanchir à force de soins, à côté d’une belle plante vert foncé poussant vigoureusement dans les champs. Presque tous les hommes sont tatoués ; ces tatouages accompagnent si gracieusement les courbes du corps, qu’ils produisent un effet fort élégant. Un des dessins les plus communs, mais dont les détails varient à l’infini, peut se comparer à la couronne d’un palmier. Ces dessins partent ordinairement de l’épine dorsale et se recourbent gracieusement des deux côtés du corps. On s’imaginera sans doute que j’exagère ; mais, en voyant le corps d’un homme ainsi orné, je n’ai pu m’empêcher de le comparer au tronc d’un bel arbre entouré de délicates plantes grimpantes.

Presque tous les vieillards ont les pieds couverts de petits dessins disposés de façon à ressembler à un soulier. Toutefois cette mode a disparu en partie et d’autres l’ont remplacée. Ici, comme partout ailleurs, les modes changent assez fréquemment ; mais, bon gré mal gré, il faut s’en tenir à celle qui régnait quand on était jeune. Chaque vieillard porte donc ainsi son âge imprimé, pour ainsi dire, sur son corps ; il lui est impossible de jouer au jeune homme. Les femmes sont tatouées de la même façon que les hommes ; très-souvent aussi elles portent des tatouages sur les doigts. Une mode est devenue presque universelle aujourd’hui (1835) : on se rase la partie supérieure de la tête de façon à ne garder qu’une couronne de cheveux. Les missionnaires ont essayé de persuader aux Taïtiens de