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TAITI.

mettre à bien s’assurer de chaque pas que l’on fait rend la marche très-fatigante. Je ne cessais de m’étonner à la vue de ces ravins et de ces précipices ; quand, perché sur une de ces saillies, on aperçoit la vallée à ses pieds, on se trouve absolument isolé en l’air, on se croirait en ballon, Nous n’avons occasion de nous servir de nos cordes qu’une fois seulement, à l’endroit où le sentier rejoint la vallée principale. Nous passons la nuit sous le rocher où nous avions dîné la veille, nuit fort belle, fort calme, et dont les ténèbres sont extrêmement épaisses à cause de la profondeur du ravin et de son peu de largeur.

Avant de voir le pays par moi-même, j’avoue qu’il m’était difficile de comprendre deux faits rapportes par Ellis : 1o qu’après les terribles batailles des anciens temps les survivants du parti vaincu se retiraient dans les montagnes, où une poignée d’hommes peut résister à une armée entière. Il est certain qu’une demi-douzaine d’hommes eussent suffi pour en repousser un millier à l’endroit où nous dûmes nous servir d’un tronc d’arbre comme échelle ; 2o qu’après la conversion des habitants au christianisme il resta dans les montagnes des hommes sauvages dont la retraite était inconnue aux habitants plus civilisés.

20 novembre. — Nous nous remettons en route de très-bonne heure de façon à arriver à midi à Matavai. Nous rencontrons en route une troupe considérable d’hommes magnifiques qui vont chercher des bananes sauvages. On me dit à mon arrivée que le vaisseau, ne pouvant pas se procurer d’eau douce en quantité suffisante, est allé jeter l’ancre dans le port de Papawa ; je me rends immédiatement à cet endroit, qui est fort joli. La baie est entourée de récifs et l’eau aussi calme que celle d’un lac. Les terrains cultivés, couverts des admirables productions des tropiques, descendent jusqu’au bord de l’eau ; çà et là on voit quelques cottages.

Avant d’arriver dans cette île, j’avais lu, sur le caractère des habitants, bien des récits contradictoires ; je désirais donc d’autant plus juger par moi-même de l’état moral des habitants, bien que ce jugement doive être nécessairement imparfait. Les premières impressions dépendent presque toujours d’idées préconçues. Ce que je savais sur ces îles, je l’avais emprunté principalement à l’ouvrage d’Ellis (Polynesian Researches), ouvrage admirable, extrêmement intéressant, mais où tout est présenté sous le jour le plus favorable. J’avais lu aussi la relation du voyage de Beechey et celle de Kotzebue, ennemis acharnés de tout ce qui est missionnaire. Si l’on compare