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IGNORANCE DES HABITANTS.

couleurs brillantes ; l’admirable gazon vert, brouté fort ras par les bestiaux, est orné de petites fleurs au milieu desquelles il en est une qui ressemble à la marguerite et qui vous rappelle une vieille amie. Que dirait un fleuriste en voyant des plaines entières si complètement couvertes par la verbena melindres que, même à une certaine distance, elles revêtent d’admirables teintes écarlates ?

Je séjournai dix semaines à Maldonado et, pendant ce temps, je pus me procurer une collection presque complète des animaux, des oiseaux et des reptiles de la contrée. Avant de faire aucune observation au sujet de ces animaux, je raconterai une petite excursion que j’ai faite jusqu’à la rivière Polanco, située à environ 70 milles dans la direction du nord. Je puis citer, comme preuve du bon marché excessif de toutes choses dans ce pays, que deux hommes qui m’accompagnaient avec un troupeau d’environ douze chevaux de selle ne me coûtaient que 2 dollars ou environ 10 francs par jour. Mes compagnons portaient sabres et pistolets, précaution que je croyais assez inutile. Toutefois, une des premières nouvelles qui parvinrent à nos oreilles fut que la veille on avait assassiné un voyageur qui venait de Montevideo. On avait trouvé son cadavre sur la route, auprès d’une croix élevée en souvenir d’un meurtre semblable.

Nous passons notre première nuit dans une petite maison de campagne isolée. Là, je m’aperçois bientôt que je possède deux ou trois objets et surtout une boussole de poche qui excitent l’étonnement le plus extraordinaire. Dans chaque maison on me demande d’exhiber la boussole et d’indiquer, au moyen d’une carte, la direction des différentes villes. Que je puisse, moi, parfait étranger, indiquer la route (car route et direction sont deux termes synonymes dans ce pays plat) pour se rendre à tel ou tel endroit où je n’ai jamais été, voilà qui excite l’admiration la plus intense. Dans une maison, une jeune femme, assez malade pour garder le lit, me fait prier de venir lui montrer la fameuse boussole. Si leur surprise est grande, la mienne est plus grande encore de rencontrer autant d’ignorance au milieu de gens qui possèdent des bestiaux par milliers et des estancias ayant une grande étendue. On ne peut expliquer cette ignorance que par la rareté des visites des étrangers dans ce coin reculé. On me demande si c’est la terre ou le soleil qui se meut ; s’il fait plus chaud ou plus froid dans le Nord ; où se trouve l’Espagne, et foule d’autres questions analogues. Presque tous les habitants ont une vague