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graines de la Terre de Feu, comme le prouvent d’ailleurs les canots et les nombreux troncs d’arbres qui, enlevés à cette dernière, viennent s’échouer sur l’île Falkland occidentale. C’est sans doute à cette cause qu’est due la similitude de la flore des deux pays, à l’exception toutefois des arbres, car ceux mêmes qu’on a essayé de transplanter n’ont pu croître aux îles Falkland.

Pendant mon séjour à Maldonado, ma collection s’enrichit de plusieurs quadrupèdes, de quatre-vingts espèces d’oiseaux et de nombreux reptiles, y compris neuf espèces de serpents. Le seul mammifère indigène que l’on trouve encore, fort commun d’ailleurs, est le Cervus campestris. Ce cerf abonde, réuni souvent en petits troupeaux, dans toutes les régions qui bordent la Plata et dans la Patagonie septentrionale. Si on rampe sur le sol pour s’approcher d’un troupeau, ces animaux, poussés par la curiosité, s’avancent souvent vers vous ; j’ai pu, en employant ce stratagème, tuer, au même endroit, trois cerfs appartenant au même troupeau. Bien qu’il soit si apprivoisé et si curieux, cet animal devient excessivement méfiant, dès qu’il vous voit à cheval ; personne, en effet, ne va jamais à pied dans ce pays, et le cerf ne voit un ennemi dans l’homme que quand il est à cheval et armé des bolas. À Bahia-Blanca, établissement récent dans la Patagonie septentrionale, je restai fort surpris de voir combien le cerf s’inquiète peu de la détonation d’une arme à feu. Un jour, je tirai dix coups de fusil à un cerf, à une distance de 80 mètres ; or il semblait beaucoup plus surpris du bruit que faisait la balle en déchirant le sol que de la détonation de mon fusil. Je n’avais plus de poudre, je fus donc obligé de me relever (je l’avoue à ma honte comme chasseur, bien que je tue facilement un oiseau au vol), et j’eus à crier bien fort pour que le cerf daignât s’éloigner.

Le fait le plus curieux que j’aie à noter relativement à cet animal, c’est l’odeur forte et désagréable qu’émet le mâle. Il est impossible de décrire cette odeur ; je me sentis pris de nausées et sur le point de défaillir bien des fois pendant que je dépeçais le spécimen dont la peau se trouve aujourd’hui au Musée zoologique. J’enveloppai la peau dans un foulard de soie pour la transporter chez moi ; or, après avoir fait bien laver ce mouchoir de poche, je m’en servis continuellement ; malgré des lavages fréquents, chaque fois que je le dépliais, et cela pendant dix-neuf mois, je sentais immédiatement cette odeur. C’est là un exemple étonnant de la persistance d’une substance qui doit cependant être