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BAHIA BLANCA.

vendre chèrement sa vie. Quelque temps auparavant, une bande d’Indiens avait passé par là pendant la nuit ; s’ils avaient soupçonné l’existence du poste, notre ami le nègre et ses quatre soldats auraient été certainement massacrés. Je n’ai jamais rencontré nulle part homme plus poli et plus obligeant que ce nègre ; j’étais donc d’autant plus peiné de voir qu’il ne voulût pas s’asseoir à table avec nous.

Le lendemain matin, on envoie chercher les chevaux de fort bonne heure et nous partons au galop. Nous passons la Cabeza del Buey, vieux nom donné à l’extrémité d’un grand marais qui s’étend jusqu’à Bahia Blanca. Nous changeons de chevaux et traversons, pendant plusieurs lieues, des marécages et des marais salins. Nous changeons de chevaux pour la dernière fois et nous reprenons notre course au travers de la boue. Mon cheval s’abat, et je plonge dans la boue noire et liquide, accident fort désagréable quand on n’a pas d’habits de rechange. À quelques milles du fort, nous rencontrons un homme qui nous dit qu’on vient de tirer un coup de canon, signal que les Indiens sont dans le voisinage. Nous quittons donc immédiatement la route et suivons les bords d’un marais, prêts à y entrer si nous voyons apparaître les sauvages ; c’est là, en effet, le meilleur moyen pour échapper à leur poursuite. Nous sommes heureux d’arriver dans l’enceinte des murs de la ville ; on nous dit alors que c’était une fausse alerte : des Indiens s’étaient, en effet, présentés, mais c’étaient des alliés qui désiraient aller rejoindre le général Rosas.

Bahia Blanca mérite à peine le nom de village. Un fossé profond et un mur fortifié entourent quelques maisons et les casernes des troupes. Cet établissement est tout récent (1828), et, depuis qu’il existe, la guerre a toujours régné dans les environs. Le gouvernement de Buenos Ayres a injustement occupé ces terrains par la force, au lieu de suivre le sage exemple des vice-rois espagnols, qui avaient acheté aux Indiens les terres environnant l’établissement plus ancien du rio Negro. De là la nécessité absolue des fortifications ; de là aussi le petit nombre de maisons et la petite étendue des terres cultivées en dehors des murs ; les bestiaux mêmes ne sont pas à l’abri des attaques des Indiens au delà des limites de la plaine dans laquelle se trouve la forteresse.

La partie du port où le Beagle devait jeter l’ancre se trouvant à 25 milles de distance, j’obtiens du commandant de la place un guide et des chevaux pour aller voir s’il est arrivé. Quittant la