Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1873.djvu/32

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sous-officier. Toutes les misères de l’enfant trouvé, tout l’abrutissement de la caserne se voyaient dans ce front bas et buté, ce dos voûté par le sac, cette allure inconsciente de troupier dans le rang. Avec cela il était un peu bègue, mais, pour être porte-drapeau, on n’a pas besoin d’éloquence. Le soir même de la bataille, son colonel lui dit : « Tu as le drapeau, mon brave ; eh bien, garde-le. » Et sur sa pauvre capote de campagne, déjà toute passée à la pluie et au feu, la cantinière surfila tout de suite un liséré d’or de sous-lieutenant.

Ce fut le seul orgueil de cette vie d’humilité. Du coup la taille du vieux troupier se redressa. Ce pauvre être habitué à marcher courbé, les yeux à terre, eut désormais une figure fière, le regard toujours levé pour voir flotter ce lambeau d’étoffe et le maintenir bien droit, bien haut, au-dessus de la mort, de la trahison, de la déroute. Vous n’avez jamais vu d’homme si heureux qu’Hornus les jours de bataille, lorsqu’il tenait sa hampe à deux mains, bien affermie dans son étui de cuir. Il ne parlait pas, il ne bougeait pas. Sérieux comme un prêtre, on aurait dit qu’il tenait quelque chose de sacré. Toute sa vie, toute sa force était dans ses doigts crispés autour de ce beau haillon doré sur lequel se ruaient les balles, et dans ses yeux pleins de défi qui regardaient