Page:Daudet - Contes du lundi, Lemerre, 1873.djvu/34

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à la même place, bien tranquille contre le mur, il s’en revenait plein de courage, de patience, rapportant sous sa tente trempée des rêves de bataille, de marche en avant, avec les trois couleurs toutes grandes déployées flottant là-bas sur les tranchées prussiennes.

Un ordre du jour du maréchal Bazaine fit crouler ces illusions. Un matin, Hornus, en s’éveillant, vit tout le camp en rumeur, les soldats par groupes, très-animés, s’excitant, avec des cris de rage, des poings levés tous du même côté de la ville, comme si leur colère désignait un coupable. On criait : « Enlevons-le !… Qu’on le fusille !… » Et les officiers laissaient dire… Ils marchaient à l’écart, la tête basse, comme s’ils avaient eu honte devant leurs hommes. C’était honteux, en effet. On venait de lire à cent cinquante mille soldats, bien armés, encore valides, l’ordre du maréchal qui les livrait à l’ennemi sans combat.

« Et les drapeaux ? » demanda Hornus en pâlissant… Les drapeaux étaient livrés avec le reste, avec les fusils, ce qui restait des équipages, tout…

« To… To… Tonnerre de Dieu !… bégaya le pauvre homme. Ils n’auront toujours pas le mien… » Et il se mit à courir du côté de la ville.