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Derrière le lit, une haute armoire de chêne, débordant de manuscrits, de paperasses, s’entrouvrait presque sur sa tête. Tout autour, des livres, rien que des livres : partout, sur des rayons, sur des chaises, sur le bureau, empilés par terre dans des coins, jusque sur le pied du lit. Quand il écrivait là, assis à sa table, cet encombrement, ce fouillis sans poussière pouvait plaire aux yeux : on y sentait la vie, l’entrain du travail. Mais dans cette chambre de mort, c’était lugubre. Tous ces pauvres livres, qui croulaient par piles, avaient l’air prêts à partir, à se perdre dans cette grande bibliothèque du hasard, éparse dans les ventes, sur les quais, les étalages, feuilletés par le vent et la flâne.

Je venais de l’embrasser dans son lit, et j’étais debout à le regarder, tout saisi par le contact de ce front froid et lourd comme une pierre. Soudain la porte s’ouvrit. Un commis en librairie, chargé, essoufflé, entra joyeusement et poussa sur la table un paquet de livres, frais sortis de la presse.

« Envoi de Bachelin », cria-t-il ; puis, voyant le lit, il recula, ôta sa casquette et se retira discrètement.

Il y avait quelque chose d’effroyablement ironique dans cet envoi du libraire Bachelin, retardé d’un mois, attendu par le malade avec