Page:Daudet - Jack, I.djvu/108

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des ressources à des professions bizarres, en désaccord avec les préoccupations de leur esprit, un poëte lyrique tenant un bureau de placement pour domestiques mâles, un sculpteur commissionnaire en vin de Champagne, un violoniste employé au gaz.

D’autres, moins dignes, se faisaient nourrir par leurs femmes, dont le travail entretenait leur géniale paresse. Ces couples étaient venus ensemble, et les pauvres compagnes des Ratés portaient sur leurs visages courageux et fanés le prix coûtant de l’entretien d’un homme de génie. Fières d’accompagner leurs maris, elles leur souriaient comme des mères, de l’air de dire : « C’est mon œuvre !… » et elles avaient de quoi se glorifier en effet, tous ces messieurs ayant, en général, la mine florissante.

Joignez à ce défilé deux ou trois antiquailles littéraires, fabulistes de salon, vieux fonds d’athénées, de prytanées, de Sociétés philotechniques et autres, toujours à l’affût de ces sortes de séances ; puis des comparses, des types vagues, un monsieur qui ne disait rien, mais qu’on prétendait très fort parce qu’il avait lu Proudhon, un autre amené par Hirsch, et qu’on appelait « le neveu de Berzélius. » Il n’avait, du reste, pas d’autre titre de gloire que sa parenté avec l’illustre savant suédois, et paraissait un parfait imbécile ; un comédien in partibus du nom de Delobelle, qui, disait-on, allait avoir un théâtre.

Enfin, les commensaux habituels de la maison, les