Page:Daudet - Jack, I.djvu/116

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Sans le vouloir, elle avait touché le point le plus sensible de cet orgueil en souffrance, et voici qu’encore une fois il se détournait d’elle sans l’avoir seulement regardée.

Mais Moronval profita de l’occasion :

— Mon Dieu ! oui, dit-il, la littérature en est là… Des vers pareils ne rencontrent pas même un éditeur… Le talent, le génie restent enfouis, méconnus, réduits à briller dans les coins…

Et tout de suite :

— Ah ! si l’on avait une Revue !

— Il faut en avoir une, dit-elle vivement.

— Oui, mais l’argent ?

— Eh ! on le trouvera l’argent… Il est impossible de laisser de pareils chefs-d’œuvre dans l’ombre.

Elle était indignée et parlait très éloquemment, maintenant que le poète n’était plus là.

« Allons ! l’affaire est lancée… » se dit Moronval, et comprenant avec sa perfide malice le côté faible de la dame, il lui parla de d’Argenton, qu’il eut soin d’entourer de ces couleurs romanesques et sentimentales comme il voyait bien qu’elle les aimait.

Il en fit un Lara moderne, un Manfred, une belle nature, fière, indépendante, que les duretés du sort à son égard n’avaient pu entamer. Il travaillait pour vivre, refusait tout secours du gouvernement.

« Oh ! c’est bien… » disait Ida ; puis, toujours tourmentée de ce blason qu’elle portait dans la tête, et