Page:Daudet - Jack, I.djvu/134

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sindre qui, en sa qualité d’ancien ouvrier devenu chanteur, détestait cordialement la noblesse.

Le poëte avait eu une enfance malheureuse et pauvre, sans gaieté ni lumière. Entouré d’inquiétudes et de larmes, de ces soucis d’argent qui fanent si vite les enfants, il n’avait jamais joué ni souri. Une bourse à Louis-le-Grand, en facilitant ses études qu’il fit avec courage jusqu’au bout, continua cette position précaire devenue dépendante. Pour seule distraction, il passait ses vacances et ses jours de sortie chez une sœur de sa mère, excellente femme qui tenait un hôtel garni dans le Marais et lui donnait de temps en temps de quoi se payer des gants, car la tenue fut de bonne heure un de ses plus chers soucis.

Ces enfances si tristes font des maturités amères. Il faut des bonheurs de vie, des prospérités sans nombre pour effacer l’impression de ces premières années ; et l’on voit des hommes riches, heureux, puissants, haut placés, qui semblent ne jamais jouir de la fortune, tellement leur bouche a gardé le tour envieux des anciennes déceptions, et leur allure la timidité honteuse que procure aux corps jeunes et tout neufs le vieil habit ridicule et rapiécé taillé dans les vêtements paternels.

Le sourire amer d’Argenton avait sa raison d’être.

À vingt-sept ans, il n’était encore arrivé à rien qu’à publier à ses frais un volume de poésies humanitaires