Page:Daudet - Jack, I.djvu/19

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n’a jamais été malade. Un peu pâlot peut-être, mais cela tient à l’air de Paris, auquel il n’est pas habitué.

Ennuyé de voir qu’elle ne saisissait pas sa pensée à demi-mot, le prêtre reprit en accentuant la note :

— D’ailleurs, pour le moment, nos dortoirs sont pleins… la saison scolaire est déjà très avancée… Nous avons même dû renvoyer des élèves nouveaux à l’année prochaine… Je vous serai fort obligé d’attendre jusqu’à cette époque. Peut-être alors pourrons-nous essayer… Pourtant, je ne réponds de rien.

Elle avait compris.

— Ainsi, dit-elle en pâlissant, vous refusez de recevoir mon fils ? Refuserez-vous aussi de me dire pourquoi ?

— Madame, répondit le prêtre, j’aurais donné tout au monde pour que cette explication n’eût pas lieu ; mais, puisque vous m’y forcez, il faut bien vous apprendre que la maison que je dirige exige des familles qui lui confient leurs enfants des conditions de moralité exceptionnelles… Il ne manque pas, à Paris, d’institutions laïques où votre petit Jack trouvera tous les soins qui lui sont nécessaires ; mais, chez nous, cela est impossible. Je vous en conjure, ajouta-t-il à un mouvement de protestation indignée, ne me faites pas m’expliquer davantage… Je n’ai le droit de rien vous demander, de rien vous reprocher… Je regrette la peine que je vous fais en ce moment, et croyez bien que la rigueur de mon refus m’est aussi pénible qu’à vous.