Page:Daudet - Jack, I.djvu/195

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allumés, les lanternes des voitures en marche bleuissaient d’un reste de jour.

Sans que l’enfant s’en aperçût, le chemin de hâlage montant insensiblement et s’agrandissant à mesure, il se trouva sur un large quai de plain-pied avec la berge dont quelques bornes seules le séparaient. Là, le gaz éclairait des camions rentrant sous de grands portails où des fûts roulaient avec bruit ; et de ces énormes portes cochères, de ces entrepôts, de ces caves, de ces milliers de tonneaux alignés sur le quai, une odeur de lie de vin montait, mêlée au goût moisi et fade du bois humide.

C’était Bercy. Mais en même temps c’était la nuit. Jack ne s’en aperçut pas tout de suite.

Le tumulte du quai plein de lumière, la Seine large à cet endroit comme une rade et renvoyant aux deux rives leurs reflets décuplés, lui faisaient illusion sur l’heure déjà nocturne ; et puis sa petite imagination, que surexcitait la fièvre de la course, était dominée par la crainte de ne pouvoir franchir les portes. Il se figurait tous les postes déjà informés de sa fuite. Cette pensée seule le préoccupait.

Mais une fois la barrière franchie sans la moindre difficulté, sans qu’aucun douanier eût seulement remarqué le passage de cette petite tunique fugitive ; quand, laissant la Seine à sa droite sur la recommandation d’Augustin, il se fut engagé dans une longue rue où clignotaient des réverbères de plus en plus rares,