Page:Daudet - Jack, I.djvu/204

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coup de fouet des queues vigoureuses, la chaleur des larges croupes, toute une odeur d’étable tumultueusement remuée. Le troupeau passe comme une trombe, sous la garde de deux chiens trapus et de deux énormes garçons, moitié pâtres, moitié bouchers, qui courent à la suite du bétail indiscipliné et farouche, en le poussant de leurs coups de trique et de leurs hurlements.

Derrière eux, l’enfant reste stupide de terreur. Il n’ose plus faire un pas. Ceux-là sont passés, mais il va peut-être en venir d’autres. Où aller ? que devenir ?… Prendre à travers champs ?… Mais il se perdrait, et puis il fait si noir. Il pleure, il tombe à genoux, il voudrait mourir là. Le roulement d’une voiture, deux lanternes allumées qu’il voit venir de loin sur la route, comme deux regards amis, le raniment subitement. Enhardi par la crainte, il appelle :

— Monsieur… Monsieur…

La voiture s’est arrêtée et de la capote sort une bonne grosse casquette à oreillons qui se penche pour chercher à qui peut appartenir ce cri timide qui se lève de si bas, du ras du sol.

— Je suis bien fatigué, dit Jack en tremblant, voulez-vous me permettre de monter un peu dans votre voiture ?

La grosse casquette hésite à répondre, mais du fond de la capote une voix de femme vient au secours de l’enfant : « Oh ! le pauvre petit… fais-le monter. »