Page:Daudet - Jack, I.djvu/253

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bohémien… Mais ça ne sait pas encore, n’est-ce pas ? C’est si jeune !

Jack, maintenant qu’il n’était plus dans l’élan de sa charité, ni sous le charme de ce sourire ridé, — oh ! le bon, l’attendrissant sourire, — Jack était atterré de ce qu’il avait osé faire. Ému, tremblant, il balbutia :

— Pardon.

Ah ! bien oui, pardon !

Blessé dans son orgueil et dans sa gourmandise, d’Argenton laissa déborder tout ce qu’il sentait d’agacements, de crispations, de haine contre cet enfant, passé mystérieux, accusateur, de la femme qu’il aimait un peu, tout en ne l’estimant pas du tout.

Chose rare chez lui, il eut un accès de colère, saisit Jack par le bras, secoua ce long corps d’adolescent, le souleva comme pour bien lui montrer sa faiblesse :

— Pourquoi t’es tu permis de toucher à ce jambon ? De quel droit ?… Tu savais bien qu’il n’était pas à toi ? D’abord, rien n’est à toi ici. Le lit dans lequel tu dors, le pain que tu manges, c’est à ma bonté, à ma charité que tu les dois. Et, vraiment, j’ai bien tort d’être aussi charitable. Car, enfin, est-ce que je te connais, moi ? Qui es-tu ? D’où sors-tu ? Il y a des moments où la dépravation précoce de tes instincts m’épouvante sur ton origine…

Il s’arrêta sur un signe éploré de Charlotte lui montrant les yeux noirs, écouteurs, interrogeants, de la mère Archambauld qui regardait. Dans le pays, on les